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L'IMMUTABILITÉ DIVINE

M. Lainetik-riste : Cher Théomathe, vous êtes étudiant en théologie depuis deux ans et suivez les cours de professeurs célèbrissimes. Votre renommée elle-même ne cesse de se répandre et l’on vous compte déjà parmi les meilleurs théologiens. Vous irez loin !

Théomathe : vous me flattez ?!

M. Lainetik-riste : je ne saurais mentir, et d’ailleurs je suis mandé par le génial et adorable Monsieur Lainetik-seirrepan pour vous faire perdre la … hum, pour m’instruire humblement auprès de vous.

Théomathe : quand le disciple est près, le maître arrive. Que cherchez-vous ?

M. Lainetik-riste : une seule chose, mais nous sommes légions dans mon cas. Vraiment, cher Théomathe, l’existence de Dieu, c’est une évidence, mais un Dieu immuable, ça ne tient pas ou alors c’est une idole de pierre tout juste bonne pour les crottes de moineaux. Ne me dites pas que vous y croyez comme tous les théologiens de bas étage, pas vous ?!

Théomathe : rassurez-vous, je n’y crois plus depuis longtemps.

M. Lainetik-riste : Ah, bon ?!! (à part : le patron se serait-il trompé ?).

Théomathe : vous avez l’air surpris. C’est pourtant simple. Je n’y crois plus parce que je sais que Dieu est immuable.

M. Lainetik-riste : (à part : aïe ! Ça va être plus coriace que je ne pensais.) Vous savez, vous savez, c’est vite dit. Moi je ne sais qu’une chose : que je ne sais rien.

Théomathe : justement et vous êtes ici pour vous instruire, n’est-ce pas ?

M. Lainetik-riste : heu…

Théomathe : monsieur Lainetik-riste, je sais que Dieu est immuable parce que c’est une vérité que la raison peut découvrir sans l’aide de la Révélation. Elle le peut parce qu’elle peut d’abord affirmer l’existence de Dieu à partir des créatures. Aliquid est, ergo Deus est, quelque chose est, donc Dieu est. Vous me suivez ?

M. Lainetik-riste : (à part : j’enrage, mais guettons le faux-pas…) Je suis celui qui suis, mais pourriez-vous préciser votre pensée ?

Théomathe : la raison laissée à elle-même, au terme d’un cheminement inductif, peut affirmer avec certitude l’existence d’un Être absolu, appelé Dieu - son existence n’est pas immédiatement évidente, comme vous l’avez affirmée. Acte pur par essence, excluant toute potentialité, Il ne peut être qu’immuable, immotus in se permanens, « car tout ce qui change, d’une manière ou d’une autre, est de quelque façon en puissance », comme dit saint Thomas d’Aquin. Cette immutabilité est encore démontrable à partir de deux attributs divins : la simplicité et l’infinité. Dieu est simple, en lui pas de composition. Mais dans tout ce qui change, il y a quelque composition de parties dont les unes restent stables tandis que les autres se modifient. Concluez… Par ailleurs, Dieu est infini et comprend « en lui la plénitude totale de la perfection de tout l’être. » Il se suffit à soi-même et n’a donc ni à acquérir, ni à tendre par un quelconque mouvement vers ce qui lui ferait défaut. Son immutabilité n’est pas une imperfection, comme le pensent certains philosophes, elle est un excès de perfection. Cela suffit-il à chasser vos doutes ?

M. Lainetik-riste : bof, vous savez, moi, la raison je n’y crois plus beaucoup. La plupart des gens vous riraient au nez en entendant vos démonstrations. Que diriez-vous à des chrétiens qui n’ont ni le temps, ni le goût, ni les capacités de faire de la métaphysique ?

Théomathe : facile ! Je sors ma Bible ! L’Écriture sainte mentionne à plusieurs reprises l’immutabilité divine. Tenez, par exemple, Malachie 3,6 : « Je suis Dieu et je ne change pas, ego sum Deus et non mutor. » ; Proverbes 19,21 : « Nombreux sont les projets au cœur de l'homme, mais le dessein de Yahvé, lui, reste ferme, multae cogitationes in corde viri, voluntas autem Domini permanebit. » ; Jacques 1,17 : « tout don excellent, toute donation parfaite vient d'en haut et descend du Père des lumières, chez qui n'existe aucun changement, ni l'ombre d'une variation, apud quem non est transmutatio nec vicissitudinis obumbratio. » ; Psaumes 102,26-28 : « Depuis longtemps tu as fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains. Eux périront, toi tu subsistes. Tous comme un vêtement ils s'useront, comme un habit qu'on change, tu les changes ; mais toi, le même, sans fin sont tes années. », etc. Ça a l’air de vous laisser de marbre.

M. Lainetik-riste : Je me méfie des citations. Il faut toujours tenir compte du contexte. Une personne un peu familière des Écritures pourra vous mentionner des passages qui s’opposent radicalement aux vôtres en montrant Dieu en mouvement. Ainsi, lit-on en Jacques 4,8 : « Approchez-vous de Dieu et il s'approchera de vous ». En Job 16,9 : « sa colère déchire et me poursuit… ». Au Psaume 18, 9 : « Il inclina les cieux et descendit, une sombre nuée sous ses pieds ; il chevaucha un chérubin et vola, il plana sur les ailes du vent ». Là aussi, etc.

Théomathe : prendre ces dernières citations au sens strict reviendrait à contredire la raison. La foi et la raison ne peuvent être en désaccord. « Quand une interprétation non nécessaire de l’Écriture aboutirait à un blasphème, l’analogie de la foi l’empêche de l’adopter. » (B. de Margerie, Les perfections du Dieu de Jésus-Christ, Cerf, 1981, p. 223, note 14.). Il faut donc affirmer que ce sont là des métaphores, des images. Elles expriment non pas un changement en Dieu, mais dans les créatures. Elles traduisent les effets créés d’une volonté incréée.

M. Lainetik-riste : vous parlez comme un livre. La raison est faillible, on ne peut s’y fier pleinement. N’auriez-vous pas des arguments plus « massues » ?

Théomathe : là, je sors mon Denzinger ! Le Magistère de l’Église a défini l’immutabilité divine en des formules dogmatiques. Le concile Vatican I en constitue la quintessence : « La sainte Église catholique apostolique romaine croit et professe qu'il y a un seul Dieu vrai et vivant, créateur et Seigneur du ciel et de la terre, tout- puissant, éternel, immense, incompréhensible, infini en intelligence, en volonté et en toute perfection ; vu qu'il est une substance spirituelle unique et singulière, absolu-ment simple et immuable, il faut affirmer qu'il est distinct du monde en réalité et par essence, qu'il est parfaitement heureux en lui-même et par lui-même, et qu'il est ineffablement élevé au-dessus de tout ce qui est et peut se concevoir en dehors de lui » (Dz 3001, Dei filius). CQFD, Monsieur Lainetik-riste !

M. Lainetik-riste : (à part : me voilà coincé. Comment ai-je pu me laisser prendre de la sorte ? Tant pis, continuons !) Fort bien, mais alors comment rendre compte que la création, l’incarnation rédemptrice, la prière et l’entrée des hommes dans l’éternité divine n’introduisent en Dieu aucun changement ?

Théomathe : vous raisonnez beaucoup pour quelqu’un qui doute de la raison… Néanmoins, c’est une grande et belle question. Elle pourrait faire l’objet d’un examen de théologie. La création n’est ni une émanation, comme si une partie de Dieu se détachait de lui-même, ni une génération, comme si Dieu donnait au monde d’exister dans une nature semblable à la sienne, ni une transformation, comme si Dieu, à la manière d’un artisan, œuvrait sur une matière préextistante. Créer, c’est faire quelque chose de rien, ex nihilo. À strictement parler, Dieu seul est créateur. La création implique certes une relation entre Dieu et la créature, elle n’est d’ailleurs rien d’autre qu’une relation, mais c’est une relation qui n’entraîne de changement que du côté de la créature. « La relation à la créature, en Dieu, n’est pas réelle mais seulement de raison. Tandis que la relation de la créature à Dieu est une relation réelle. »  (Cf. S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, Q. 45, art. 3, ad 1.). Ce principe s’applique également à l’incarnation rédemptrice du Logos, à la prière des croyants et à leur divinisation.

M. Lainetik-riste : pourriez-vous développer, je suis tabula rasa ? Le Verbe ne s’est-il pas réellement fait homme ? Dieu ne s’est-il pas repenti du mal dont il avait menacé les Ninivites en voyant leur conversion dans le jeûne, la prière et les larmes ? Dieu ne s’est-il pas fait homme pour que l’homme devienne Dieu ?

Théomathe : le Logos, deuxième Personne de la Trinité, a assumé une nature humaine créée. Dire qu’il s’est fait homme ne signifie pas qu’il a cessé d’être le Verbe pour devenir une personne humaine. Dans sa nature divine, il reste inchangé et immuable. Relisez les Actes du concile de Nicée en 325 : « Ceux […] qui affirment que le Fils de Dieu est créé ou susceptible de changement ou d'altération, ceux-là l'Église catholique et apostolique les anathématise » (Dz 126). Sa nature humaine, par contre, existe en lui selon un mode inouï. Elle a été élevée, assumée dans l’unité de sa Personne. Quand le Christ a souffert au cours de sa vie terrestre et spécialement lors de sa Passion, il a souffert selon sa nature humaine et non selon sa nature divine qui est impassible. De même, il est mort selon sa nature humaine, en tant que l’unité substantielle de son âme et de son corps a été brisée.

M. Lainetik-riste : hum, je vois…

Théomathe : vous connaissez peut-être cet extrait d’une préface de la messe : « Nos louanges n’ajoutent rien à ce que Tu es, mais elles nous rapprochent de Toi ». La prière transforme le cœur de l’homme sans rien modifier de l’être éternel de Dieu. De même, elle ne prétend pas changer les dispositions de la Providence divine, qui d’ailleurs ne fait pas nombre avec son être. Elle demande bien plutôt que s’accomplisse ce que Dieu a prévu devoir être obtenu et réalisé par elle (Cf. S. Thomas d'Aquin, Somme de théologie, IIa IIae, Q. 83, art. 2, corps.). Comme l’écrit S. Grégoire le Grand : « Par la prière, nous méritons de recevoir ce que Dieu tout-puissant a disposé, avant les siècles, de nous donner. » (Dialogues, Livre I, chapitre 8).

M. Lainetik-riste : c’est intéressant. Continuez, heu… je vous prie.

Théomathe : venons-en finalement à l’entrée des hommes dans l’éternité divine. L’Apôtre Pierre nous assure que l’homme est appelé à devenir « participant de la nature divine » (2 P 1,4). L’être humain est prédestiné à devenir fils dans le Fils. C’est en lui l’œuvre de la grâce qui, sans détruire sa nature propre, l’équipe d’une nature de surcroît, d’un nouvel organisme d’activité, d’un autre registre d’opérations. Si cette participation à la vie divine est déjà commencée par les sacrements en cette vie – « dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu » – elle se continuera et n’atteindra son achèvement que dans la gloire, dans l’éternité de la communion avec Dieu, après la mort en état de grâce. Ce passage de la grâce à la gloire nécessite un nouveau don de la part de Dieu pour que l’homme puisse le voir tel qu’Il est, en son essence, et lui devenir semblable parfaitement dans ses opérations vitales de connaissance et d’amour. Là encore, c’est la créature qui subit une modification, une surélévation de ses puissances spirituelles pour être adaptée au divin, et non l’inverse. L’éternité de Dieu est une conséquence de son immutabilité. Elle est « la possession parfaite et tout ensemble d’une vie interminable », selon Boèce. On ne peut donc rien lui ajouter. Êtes-vous satisfait par mes réponses ?