LES DIVERS ASPECTS DE LA GRÂCE BAPTISMALE

 

La grâce sacramentelle du baptême, c’est la réalité, res tantum, produite et signifiée par le rite ou signe, sacramentum tantum, constitué par le bain d’eau et par la parole qui l’accompagne. Cette réalité n’est autre que la grâce sanctifiante qui nous fait participer à la vie divine, mais sacramentellement conférée, c’est-à-dire orientée à certains effets particuliers. Dans le cas du baptême, ces effets sont signifiés par le symbolisme de l’eau. Si le baptême est avant tout un bain qui lave, alors le premier effet de la grâce baptismale sera de purification : le baptême commence par enlever quelque chose. C’est l’aspect négatif de la grâce baptismale, inséparable de l’aspect positif de régénération, de vie nouvelle, également suggéré par le signe de l’eau.

 

1. Un bain de purification

 

a) Le baptême remet les péchés

 

Le baptême est un bain de purification. Le Christ, dit saint Paul, a sanctifié l’Église « en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne » (Ep 5, 26). Aux chrétiens de Corinthe, l’apôtre affirme : « Ne savez-vous pas que les injustes n'hériteront pas du Royaume de Dieu ? [...] Voilà ce que vous étiez, quelques-uns. Mais vous vous êtes lavés, mais vous avez été sanctifiés, mais vous avez été justifiés par le nom de notre Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu » (1 Co 6, 9.11).

 

La purification ainsi apportée ne remet pas d’abord les péchés commis par la personne qui reçoit le baptême, mais le péché originel, qui affecte la nature humaine reçue par cette personne. Ici se découvre la force de la purification baptismale : la grâce sacramentelle du baptême va jusqu’au fond de la nature héritée d’Adam pour y laver, y purifier la tache qui l’affecte et la défigure. Il s’agit d’une restauration de la nature humaine ; une innocence première est redonnée.

 

Cependant, tandis que la génération humaine ne transmet que le péché d’origine, chaque homme y ajoute ses péchés personnels. Or les péchés personnels sont aussi sont lavés, effacés par le baptême, quand celui-ci est reçu par une personne en âge de distinguer le bien du mal. Baptisé, le sujet adulte, « vieil homme » du fait du péché, devient « comme un enfant nouveau-né » (1 P 2, 2) ; « si quelqu’un est dans le Christ, dit saint Paul, il est une créature nouvelle » (2 Co 5, 7).

 

D’où le baptême tire-t-il une telle puissance de guérison, de purification ? Elle ne peut lui venir d’aucune force humaine, mais de la seule initiative divine. « Aucun péché ne peut être remis que par la vertu de la Passion du Christ », dit saint Thomas (ST III, q. 69, a. 1, ad 2). Aussi n’est-ce que « par la vertu de la Passion du Christ, remède universel pour tous les péchés » (ST III, q. 69, a. 1, ad 3), que le baptême opère, appliquant au sujet qui le reçoit la Passion salvatrice du Christ.

 

b) Le baptême remet les peines dues au péché

 

Outre la culpabilité, le péché entraîne une pénalité (poenalitas), c'est-à-dire des peines appliquées en conséquence de la rupture et du désordre introduit par le péché. La plus grave est la « peine du dam », privation de la communion avec Dieu et damnation éternelle qui, avec la « peine du sens » ou souffrance morale et physique d’une nature dégradée, constitue l’enfer.

 

Ces peines, le baptême les remet totalement et toujours par l’application de la Passion et de la mort rédemptrices du Christ. Telle est la doctrine exposée avec force par saint Paul : « Baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés […]. Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Rm 6, 3.8). Ainsi, selon l’interprétation de saint Thomas (III, q. 69, a. 2), le baptisé communie à la Passion du Christ pour la guérison de ses péchés comme s’il souffrait lui-même la mort du Sauveur, seule capable de satisfaire pour les péchés de tous les hommes. Quiconque a reçu le baptême est donc libéré, par cette participation même, de toute obligation de peine relative à ses péchés. Où l’on voit que si l’initiative de Dieu est absolue dans le pardon des péchés et la remise de la peine, la justification du pécheur ne se fait pas sans son consentement et sa pleine coopération.

 

c) Les conséquences temporelles du péché et le combat spirituel

 

Dans le baptisé, il ne subsiste plus rien qui l’empêcherait d’entrer dans le Royaume de Dieu (cf. CEC, n° 1263). Demeurent cependant certaines conséquences terrestres ou séquelles du péché originel, appelée peines temporelles, comme la souffrance, la maladie, la mort, et encore l’ignorance, la concupiscence ou « foyer de péché » qui nous incline au mal.

 

Pourquoi le baptême, qui a la puissance de nous libérer de ces peines et de ces tendances, ne le fait-il pas dès notre vie d’ici-bas, si ce n’est très progressivement ? La raison fondamentale est à chercher dans notre union et configuration au Christ que le baptême instaure. Baptisé dans le Christ Jésus, le chrétien devient membre d’un Corps dont le Christ est la Tête. Or le Christ, « plein de grâce et de vérité », a pris un corps passible et mortel. De même, explique saint Thomas (III, q. 69, a. 3), le baptisé, tout en recevant la grâce, la purification de tous ses péchés, a un corps passible dans lequel il peut souffrir, mourir comme le Christ et pour lui, mais aussi ressusciter avec lui : « Nous sommes les héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ, si toutefois nous souffrons avec lui pour être glorifiés avec lui » (Rm 8, 17).

 

Ainsi, ce qui était au départ une peine temporelle liée au péché originel change, non pas matériellement, mais formellement : la souffrance et la mort ne sont plus une dégradation de la nature humaine, mais un chemin de conformation au Christ et de glorification. C’est tout le mystère pascal de mort et de résurrection, qui est ici donné en unité et qui se prolonge en chaque baptisé. On comprend que la mort chrétienne soit considérée comme le dernier fruit du baptême, l’ultime configuration au Christ ici-bas, qui trouvera son achèvement dans la résurrection de la chair.

 

Les peines temporelles, les souffrances du temps présent, tout en gardant leur valeur de réparation pour nos fautes, peuvent être converties de l’intérieur pour devenir des actes d’amour qui nous associent à la valeur salvifique de la Passion du Christ. Elles favorisent grandement l’exercice du combat spirituel en cette vie (cf. III, q. 69, a. 3). La lutte contre la concupiscence, nos faiblesses et notre complicité récurrente avec le mal, nous portent à nous conformer toujours plus au Christ sauveur dans l’attente de la victoire finale. En s’engageant sur cette voie, le baptisé, par une vraie collaboration, fait sien le salut qui lui est donné, pour lui-même mais aussi pour les autres.

 

2. Un bain de régénération

 

a) Le don de la vie divine

 

On l’a vu, seule l’initiative salvifique de Dieu, manifestée dans la Pâque du Christ, peut anéantir les péchés et en supprimer les peines. Ce n’est donc rien moins que la sainteté et la vie divines elles-mêmes, reçues au baptême, qui lavent et purifient. Autrement dit, le bain du baptême n’est purificateur que parce qu’il est, positivement et plus profondément, bain de régénération, baptême d’eau, mais aussi baptême d’Esprit (cf. Jn 3, 5) : Dieu« nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation en l’Esprit Saint » (Tt 3, 5-7). La formule du baptême exprime ces deux aspects inséparables : « Je te baptise… », je te plonge, « au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », dans l'être même des trois Personnes de la Sainte Trinité. La purification du baptême n’enlève pas seulement quelque chose pour nous laisser ensuite nous-mêmes. C’est la vie intime de Dieu qui nous est communiquée. Le baptême confère ainsi le don de la grâce sanctifiante, sous une modalité sacramentelle propre, celle d’une naissance : lavacrum regenerationis, bain de la naissance à une vie nouvelle, surnaturelle, qui se greffe sur la vie naturelle pour lui permettre de s’élever à ce qui la dépasse infiniment. Avec la grâce, découlant du Christ-Tête dans ses membres, c’est tout l’organisme surnaturel des vertus (morales et théologales) et des dons qui est infusé au baptême, mais à l’état natif, germinal, ordonné à un développement progressif et à une fructification continuelle.

 

Grâce de la nouvelle naissance, de l’entrée dans la vie de Dieu, la grâce sacramentelle du baptême est de ce fait tout particulièrement la grâce de la foi. Non pas que le baptême donnerait exclusivement la foi théologale, tandis que l’eucharistie, par exemple, donnerait exclusivement la vertu de charité. Chaque sacrement donne et augmente en nous toute la vie divine, mais l’orientation particulière du baptême au don et au développement de la foi vient de ce que c’est d’abord par la foi qu’on entre dans la vie surnaturelle, de même qu’au plan naturel, la connaissance, aussi rudimentaire soit-elle, est l’élément premier de tout vie, ce qui nous permet d’agir et d’aimer.

 

Voilà pourquoi l’Écriture et la Tradition désignent souvent le baptême comme une illumination. Le récit de l’aveugle-né en Jean 9 annonce et met en scène cette illumination du baptême, que saint Thomas explique ainsi : Le Christ, plein de grâce et de vérité, donne aux membres de son Corps l’organe du sens spirituel, qui leur fait connaître la vérité, et le mouvement de la vie spirituelle, l’impulsion de grâce qui les fait agir et les rend féconds en œuvres bonnes (cf. III, q. 69, a. 5).

 

b) L’incorporation au Christ

 

En définitive, tous les effets du baptême, tous les aspects de la grâce qu’il confère se résument et se récapitulent en celui-ci : l’incorporation au Christ. Plongé dans le Christ, le baptisé l’a revêtu : « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27). Ces images bibliques ne visent pas d’abord à décrire la relation individuelle que chaque chrétien entretient avec le Christ, mais elles désignent fondamentalement l’entrée du baptisé dans le Corps du Christ qu’est l’Église, en tant que membre de ce Corps : « Tous, nous avons été baptisés en un seul Esprit pour former un seul Corps » (1 Co 12, 13).

 

Or si les membres forment le Corps, c’est en unité et en interdépendance avec tous les autres membres de ce Corps, dont le Christ est la Tête. Ainsi, la vie nouvelle inaugurée par le baptême est vie pour Dieu et vie d’union au Christ dans la mesure même où elle est vie avec et pour les autres membres, en Église, dans cette communion que régit la charité.

 

Bibliographie

 

  • Th. Camelot, « Le baptême et la confirmation », in Initiation théologique, t. IV, Paris, 1954.
  • Catéchisme de l’Église catholique, n° 1213-1284.
  • D. J. Lallement, Les sacrements, Paris, 1985.
  • S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie IIIa, q. 69.
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