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L'ÊTRE HUMAIN

 

Esprit – Âme – Corps

 

(1 Th 5, 23)

 

L'esprit humain ou âme intellectuelle

 

L'esprit humain se compose de deux puissances spirituelles qui sont l'intelligence et la volonté.

 

  • L'intelligence a pour objet l'être des choses, ce qu'elles sont. On distingue l'intelligence pratique qui est l'intelligence en tant qu'elle cherche à connaître en vue de l'action artistique (le faire) ou morale (l'agir), etl'intelligence spéculative qui est l'intelligence en tant qu'elle cherche à connaître en vue de la contemplation.

 

L'intelligence est qualifiée par des vertus acquises et des vertus infuses :

 

  • Les vertus intellectuelles acquises (= par des actes répétés). On distingue les vertus qui qualifient l'intelligence spéculative et qui sont la compréhension (intellectus), la science et la sagesse, et les vertus qui qualifient l'intelligence pratique et qui sont l'art et la prudence :

 

  • Compréhension : elle est l'habitus des premiers principes et perfectionne l'intelligence dans son acte de connaître le vrai qui ne peut être connu que de manière immédiate (Ia IIae, 57, 2)[1].

 

  • Science : elle perfectionne l'intelligence dans sa recherche de connaissance ultime dans tel ou tel domaine particulier (Ia IIae, 57, 2).

 

  • Sagesse : elle perfectionne l'intelligence dans sa recherche de la connaissance ultime universelle (Ia IIae, 57, 2).

 

  • Art : il est la droite règle des choses à faire (Ia IIae, 57, 3-4). Il y a autant de vertus d'art qu'il y a d'arts à exercer : art musical, art pictural...

 

  • Prudence : elle est la droite règle de l'agir moral et de ce fait elle se trou-ve à la jonction des vertus intellectuelles et des vertus morales (Ia IIae, 57, 4-6).

 

  • Les vertus intellectuelles infuses (= données par Dieu). On distingue la vertu théologale de foi et la vertu cardinale de prudence :

 

        • Foi : Vertu théologale par laquelle nous croyons en Dieu et à tout ce qu'Il nous a révélé, et que la Sainte Église nous propose à croire, parce qu'Il est la vérité même (CEC 1814).

 

        • Prudence : cette vertu surnaturelle ne relève pas d’un donné de foi, mais demeure encore une opinion théologique appuyée par S. Thomas et l’éco-le thomasienne à sa suite. Elle se distingue de la prudence acquise en ce qu’elle est infusée par Dieu dans l’âme. De plus, son objet formel et sa finalité diffèrent de ceux de la prudence naturelle. Le premier concerne la juste mesure surnaturelle et la seconde regarde l’appartenance à l’Église, à la Cité Céleste (Ia IIae Q. 63 a. 3 et 4). La prudence infuse, comme la prudence acquise, a besoin d’être exercée pour atteindre sa perfection.


  • La volonté a pour objet le bien que lui présente l'intelligence. Elle est qualifiée par une vertu cardinale acquise, la justice, et deux vertus infuses, l'espérance et la charité :

 

La Vertu volontaire acquise

Justice : elle consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû (CEC 1807). D'elle, découlent entre autres la vertu de religion (par laquelle est rendu ce qui est dû à Dieu), la vertu de piété filiale (par laquelle est rendu ce qui est dû aux parents et à la patrie), la vertu de gratitude (envers les bienfaiteurs).

 

Les vertus volontaires infuses

 

  • Espérance : vertu théologale par laquelle nous désirons comme notre bonheur le Royaume des cieux et la Vie éternelle, en mettant notre con-fiance dans les promesses du Christ et en prenant appui, non sur nos for-ces, mais sur le secours de la grâce du Saint-Esprit (CEC 1817).

 

  • Charité : vertu théologale par laquelle nous aimons Dieu par-dessus toute chose pour Lui-même, et notre prochain comme nous-mêmes pour l'a-mour de Dieu (CEC 1822).

 

L'âme humaine ou âme sensitive

 

L'âme humaine ne fait pas nombre avec l'esprit humain, elle en est la partie la plus en lien avec le corps, notamment les cinq sens externes (toucher, vue, ouïe, odorat, goût). On distingue en elle les sens internes (le sens commun, l'imagination, la cogitative, la mémoire), les appétits sensibles (le concupiscible, l'irascible) et les passions (amour, haine, désir, joie, tristesse, aversion, crainte, audace, espoir, désespoir, colère).

 

Les sens internes (Ia, q. 78, a. 4). Tandis que les sens externes connaissent la réalité quand elle est présente, les sens internes la connaissent quand elle est absente :

 

  • Sens commun : il est cette fonction de connaissance sensible, cette conscience sensible, qui éprouve les diverses sensations les compare et les connaît, ce qu'aucun sens externe ne peut faire. Par exemple, face à un morceau de sucre, la vue perçoit le blanc, mais pas le sucré, le goût perçoit le sucré, mais pas le blanc ; le sens commun fait que l'homme rapporte ces diverses sensations au même objet. S. Thomas en parle « comme la racine et le principe communs à tous les sens externes ».

 

  • Imagination : elle est une fonction de connaissance sensible qui consiste à se représenter intérieurement un objet concret perçu au préalable par les sens externes. Elle suppose les fonctions de conservation et de reproduction des images. S. Thomas dit de l'imagination qu'elle est « comme un trésor des formes reçues par les sens ». Un sens externe présente un objet, l'imagination le représente.

 

  • Mémoire : elle est la fonction de la connaissance du passé comme tel, parce qu'elle conserve les ressemblances de choses auxquelles on ne pense pas en acte. Son acte propre est la reconnaissance des souvenirs. Elle est perfectionnée par l'intelligence qui organise les souvenirs et rend plus facile leur évocation et leur localisation : « J'ai rencontré telle personne l'année dernière au mois de juillet, etc ».

 

  • Cogitative : fonction de connaissance, elle porte sur un objet futur imaginé en tant qu'il peut être utile ou nocif. On l'appelle aussi « raison particulière » parce qu'elle consiste en un rapprochement de cas particuliers pour en tirer une règle empirique d'action. C'est la source de l'expérience, au sens où l'on parle d'un « homme d'expérience ».

 

L'Appétit sensible : ils sont des tendances vers un objet concret appréhendé comme bon par les sens. À ce niveau, l'appétit suit nécessairement la connaissance. Il n'y a pas place pour la liberté dans le jeu de l'appétit sensible. Il se distingue en appétit concupiscible et appétit irascible.

 

  • Concupiscible : par lui, l'âme recherche ce qui lui convient dans l'ordre sensible, et fuit ce qui peut lui nuire (Ia, q. 81, 2). Le concupiscible est qualifié par la vertu cardinale de tempérance et les vertus qui lui sont rattachées : entre autres, la pudeur, l'abstinence, la sobriété, la chasteté, la virginité.

 

  • Tempérance : modère l'attrait des plaisirs et use raisonnablement des biens créés.

  • Pudeur : a trait à la honte du vice.

  • Abstinence : modère l'attrait pour la nourriture.

  • Sobriété : modère l'attrait pour les boissons, spécialement les enivrantes.

  • Chasteté : modère les convoitises en matière sexuelle.

  • Virginité : par elle, on s'abstient pour toujours des voluptés sexuelles.

 

  • Irascible : par lui, l'âme résiste aux attaques des choses qui l'empêchent d'atteindre ce qui convient et lui causent du dommage (Ia, q. 81, 2). L'irascible est qualifié par la vertu cardinale de force et les vertus qui lui sont rattachées : entre autres, la magnanimité, la magnificence, la patience, la persévérance.

 

  • Force : par elle, sont supportées ou repoussées les difficultés de la vie morale afin de poursuivre le bien avec constance.

  • Magnanimité : établit la mesure de la raison dans les grands honneurs.

  • Magnificence : établit la mesure de la raison pour les œuvres grandes.

  • Patience : aide à supporter les maux de tous genres.

  • Persévérance : aide à accomplir des œuvres difficiles et de longue durée.

 

Les Passions

 

Animalité des passions : Selon S. Jean Damascène, la passion est « un mouvement de l’appétit sensible se portant sur le bien ou le mal présenté par l’imagination » ou encore elle est « un mouvement de l’âme irrationnelle par l’appréhension du bien ou du mal »[2]. S. Thomas fait sienne cette définition (Ia IIae, q. 22, a. 3, sc) en l'explicitant :

 

La passion est un « mouvement de l'appétit », c'est-à-dire un acte qui s'origine plutôt (magis inveni­tur) dans la faculté désirante de l'homme (Ia IIae, q. 22, a. 2) que dans sa faculté cognitive, qu'elle soit intellectuelle (l'intelligence) ou sensible (les 5 sens externes et les sens internes). Mais son siège n'est pas dans la volonté, appétit rationnel, car elle est un acte de l'appétit sensible (Ia IIae, q. 22, a. 3) provoqué par l'appréhension d'objets sensibles.

 

Si la passion s'accompagne toujours de modifications physiologiques (rougeur faciale, sueur...) que S. Thomas appelle des « transmutations corporelles » (Ia IIae, q. 22, a. 1), c'est bien tout l'homme, corps et âme, qui est le sujet propre des passions. De ce fait, les mouvements de son appétit sen­sible, de son animalité, deviennent des actes humains susceptibles de moralité.

 

Humanité et moralité des passions : En elles-mêmes, les passions, qui relèvent chez l'homme comme chez l'animal de l'appétit irrationnel, ne sont ni bonnes, ni mauvaises. Toutefois, explique S. Thomas, en tant qu'elles dépendent du « commandement de la raison et de la volonté », elles sont propres à l'homme et prennent une coloration morale (Ia IIae, q. 24, a. 1). Là où les stoïciens, en raison d'une anthropologie qui ne distinguait pas appétit sensible et appétit rationnel, considéraient les passions comme nécessairement mauvaises parce que irrationnelles, l'Aquinate souligne qu'elles ne sont telles que « lorsqu'elles échappent au gouvernement de la raison » (Ia IIae, q. 24, a. 2). Quant à ce gouvernement lui-même, il note qu'il n'a rien de despotique comme dans la relation de maître à esclave, mais ressemble à celui d'un roi par rapport à des hommes libres « non totalement soumis au commandement » (Ia IIae, q. 17, a. 7). Bref, les passions ne sont vraiment humaines et vertueuses que si elles participent de la raison et « la perfection du bien moral requiert que l'homme ne soit pas mû au bien par sa volonté seulement, mais aussi par son appétit sensible » (Ia IIae, q. 24, a. 3).

 

Distinction des passions selon le concupiscible et l’irascible : L'appétit concupiscible a pour objet « le bien ou le mal sensible purement et simplement, qu'il soit agréable ou douloureux » (Ia IIae, q. 23, a. 1). Les passions qui en relèvent correspondent donc à un objet senti comme bon ou mauvais. Ces passions sont l'amour, le désir ou la joie si l'objet est senti comme bon, la haine, l'aversion ou la tristesse, s'il est senti comme mauvais.

 

L'appétit irascible porte lui sur un bien ou un mal « en tant qu'il présente un caractère ardu ou diffi­cile » (Ia IIae, q. 23, a. 1). Les passions qui en relèvent correspondent donc à un bien ardu ou à un mal ardu. Ces passions sont l'espoir ou le désespoir si le bien est ardu, la crainte, l'audace ou la co­lère si le mal est ardu. S. Thomas précise que « les passions de l'irascible ont leur principe dans celles du concupiscible et se terminent à elles. » (Ia IIae, q. 25, a. 1).

 

Les six passions du concupiscible

 

          • Amour : inclination générale à un bien sensible, la « complaisance même » (Ia IIae, q. 26, a. 1) pour ce bien.

          • Haine : répulsion générale vis-à-vis d'un mal sensible.

 

L'amour et la haine forment un couple de passions contraires. Mais « l'amour précède la haine et rien ne peut être objet de haine sinon parce qu'il est contraire au bien que l'on aime (Ia IIae, q. 29, a. 2). L'amour est le point de départ de tout le mouvement passionnel et particulièrement du désir. La haine est le point de départ de l'aversion.

 

          • Désir : mouvement vers un bien sensible absent.

          • Aversion : mouvement de fuite face à un mal sensible.

 

Le désir et l'aversion forment le deuxième couple de passions contraires à l'intérieur des passions du concupiscible. Si le désir est satisfait ou si le mal a été évité, le mouvement s'achève dans la joie. Sinon, il aboutit à la tristesse.

 

          • Joie : repos dans un bien sensible effectivement possédé.

          • Tristesse : douleur éprouvée en présence d'un mal sensible.

 

La joie et la tristesse, dernier couple de passions contraires de l'appétit concupiscible, sont les points d'arrivée nécessaires du mouvement passionnel. Entre elles et l'amour, prennent place les autres pas­sions du concupiscible, mais aussi de l'irascible (Ia IIae, q. 25, a. 1).

 

Les cinq passions de l'irascible

 

Les passions de l'irascible se distinguent selon leur objet bon ou mauvais et ardu, et selon le mouve­ment d'approche ou de retrait par rapport à un objet bon, ardu, et possible ou impossible à atteindre ; ou un objet mauvais, ardu, et évitable ou inévitable. « Dans les passions de l'irascible on ne trouve rien qui regarde le repos, tout se rapporte au mouvement » (Ia IIae, q. 25, a. 1).

 

  • Espoir : mouvement vers un bien futur ardu, mais possible à atteindre (Ia IIae, q. 40, a. 1). « L'espoir ajoute au désir un certain effort et une certaine tension de l'âme en vue du bien difficile à obtenir » (Ia IIae, q. 25, a. 1). Il s'achève en joie s'il n'est pas confondu.

  • Désespoir : réaction face à l'impossibilité d'obtenir un bien futur ardu. Il aboutit à la tristesse.

 

L'espoir et le désespoir, couple de passions contraires, présupposent le désir.

 

  • Audace : mouvement d'attaque face à un mal imminent jugé vincible (Ia IIae, q. 45, a. 1).

  • Crainte : réaction face à un « mal futur difficile, auquel on ne peut résister » (Ia IIae, q. 41, a. 2). Elle ajoute à l'aversion « une certaine dépression de l'âme, causée par la difficulté d'un mal à repousser » (Ia IIae, q. 25, a. 1).

La crainte et l'audace, couple de passions contraires, présupposent l'aversion.

 

  • Colère : réaction d'opposition en présence d'un mal subi. Elle n'a pas de passion qui lui soit opposée car elle tend en elle-même à la fois vers un bien, la vengeance, et vers un mal, l'objet dont elle cherche à tirer vengeance. Elle est « composée en quelque sorte de mouvements affectifs contraires » (Ia IIae, q. 46, a. 2) et présuppose la tristesse (Ia IIae, q. 25, a. 1).

 

Le corps

 

Le corps humain est composé de différents organes et de cinq sens externes utiles à la vie de l'hom-me. Il vaut particulièrement la peine d'étudier ces derniers car, du fait de l'union substantielle entre l'âme et le corps, toute la connaissance intellectuelle acquise a son origine dans les cinq sens.

 

Les cinq sens

 

Un sens est « une puissance passive dont la nature est de pouvoir être modifiée par un objet sensible extérieur » (Ia, 78, 3). Chacun des sens est lié à un organe particulier du corps ; cependant « sentir n'appartient en propre ni à l'âme ni au corps, mais au composé humain » (Ia, 77, 5). Un cadavre en effet ne sent rien. Toutefois, puisque l'âme donne la vie au corps et la possibilité de sentir, le sens peut être appelé une faculté de l'âme. La sensation est une connaissance par union du sens avec l'objet sensible (couleur, son, saveur...). Comme dit Aristote, elle est « l'acte commun du sentant et du senti » (Peri Psychè, III, 2). Les cinq sens sont comme cinq fenêtres qui ouvrent l'homme à la réalité qui lui est extérieure. Chacun des sens a un sensible qui lui est propre :

 

  • Vue : la lumière et les couleurs

  • Ouïe : son

  • Odorat : odeur

  • Toucher : froid, chaud, mou, dur, rugueux, lisse

  • Goût : saveur (amer, doux, acide, sucré, salé)

 

Aristote remarque que « Des cinq sens, les deux plus importants sont la vue, qui nous apprend tant de choses sur le monde extérieur, et l'ouïe, qui, bien qu'indirectement, sert plus encore que la vue aux développements de l'intelligence ; car les aveugles-nés sont toujours plus intelligents que les sourds-muets [...] La vue nous révèle dans les choses les différences les plus nombreuses et les plus variées [...] indirectement, c'est l'ouïe qui rend les plus grands services à la pensée, puisque c'est le langage qui est cause que l'homme s'instruit, et que le langage est perçu par l'ouïe, non pas, il est vrai, en lui-même, mais indirectement. C'est que le langage se compose de mots, et que les mots ne sont jamais que des signes. Voilà bien pourquoi, parmi les hommes qui de naissance manquent de l'un de ces sens, les aveugles-nés sont plus intelligents que les sourds-muets [...] le goût n'est qu'une espèce de toucher. [...] l'odorat est en nous le moins bon de tous les sens dont nous sommes doués. Au contraire, nous avons le toucher plus délicat que tous les autres animaux; et le goût n'est qu'une sorte de toucher.  » (Du sens et de la sensation).

 

[1] Sauf indication contraire, les références données renvoient à la Somme de théologie de S. Thomas d'Aquin.

[2] De Fide Orthodoxa II, 22 (PG94, 941).