LE BAPTÊME DE JÉSUS

Lc 3, 21-22

 

Durant les premiers siècles de l'Église, la péricope évangélique du Baptême de Jésus a donné lieu à une grave controverse, celle de l'adoptianisme. Cette doctrine contraire à la vraie foi, pour avoir été assez rapidement déclarée hérétique[1], n'en resurgit pas moins de temps à autre jusqu'à nos jours. Il n'est donc pas inutile de rappeler en quoi elle consiste.

 

Selon certains en effet, la parole « C'est toi mon Fils : moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » prouverait que Jésus n'était pas Fils de Dieu par nature, mais par adoption, qui se serait produite précisément lors de la descente de l'Esprit Saint sous la forme d'une colombe[2] après le baptême par Jean. Jésus n'aurait donc été qu'un simple homme devenu participant de la nature divine, devenu le Christ de Dieu, vers l'âge de 30 ans (Lc 3, 23), et non Dieu né de Dieu de toute éternité.

 

Cette parole, prise isolément, prête à une telle interprétation. « Aujourd'hui, je t'ai engendré » équivaudrait à « Aujourd'hui, je t'ai adopté en te faisant renaître de l'eau et de l'Esprit », « Aujourd'hui, je t'ai christifié ». Il est néanmoins toujours dangereux de ne considérer qu'une partie de l'Écriture Sainte sans tenir compte de son unité d'ensemble (CEC 112) ; de plus, il faut se rappeler que seul le Magistère de l'Église est l'interprète autorisé (CEC 85) et définitif de la la Parole de Dieu. Or le Nouveau Testament ne manque pas d'affirmations sur l'éternelle filiation divine de Jésus (Jn 1, 18 ; 8, 58) et le concile œcuménique de Nicée en 325 a reconnu sa consubstantialité avec Dieu le Père.

 

Sans nier la nature divine de Jésus comme l'adoptianisme primitif du IIIe s., une forme subtile d'adoptianisme, dit “adoptianisme espagnol”, parce qu'enseigné par deux évêques ibériques au VIIIe s., a cependant soutenu que sa nature humaine n'avait été adoptée par Dieu que lors de son Baptême. C'était retomber en quelque sorte dans l'hérésie nestorienne condamnée au concile d'Éphèse en 431 pour la dualité de personnes qu'elle impliquait en Jésus : la Personne divine du Fils issue du Père avant tous les siècles, et la personne humaine du fils issue de Marie dans le temps. Non, affirmait le concile, Marie ne pouvait pressentir un autre fils dans l'enfant qu'elle avait mis au monde, en lui la nature divine et la nature humaine sont unies dans l'unique Personne du Verbe de Dieu.

 

Cette vérité de foi allait être portée à son apogée par le concile de Chalcédoine en 451 qu'il vaut la peine de citer en partie : « Nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l'humanité, en tout semblable à nous sauf le péché (cf. He 4, 15), avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même (engendré) pour nous et notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l'humanité, un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l'unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation »[3].

 

À travers ce bref aperçu dogmatique, nous comprenons que l'identité profonde de Jésus de Nazareth Notre-Seigneur ne fut et n'est pas aisée à saisir. Chacun de nous sait-il vraiment en qui il a mis sa foi (2 Tm 1, 12) ? Le croyant devrait être toujours plus avide de mieux connaître, pour mieux l'aimer, le Christ, en qui s'est dévoilé tout le dessein éternel de Dieu et qui pour cela est au cœur de la catéchèse chrétienne (CEC 426). Cet amour, sur lequel nous serons finalement jugés, entraîne davantage dans les profondeurs du Mystère divin. Plus encore que la foi, c'est lui qui en cherche l'intelligence, parce que « l'amour lui-même est connaissance »[4]. « La science de la foi et la science de l'amour, note Benoît XVI, vont ensemble et se complètent, [...] la grande raison et le grand amour vont ensemble, ou plutôt, [...] le grand amour voit davantage que la seule raison »[5].

 

Revenons maintenant à la parole du Père : « C'est toi mon Fils : moi, aujourd'hui, je t'ai engendré ». Quelle en est l'interprétation conforme à la foi catholique ? Jésus n'ayant jamais été adopté par Dieu, ni constitué Christ au Baptême, puisqu'il « possède [l'Esprit] en plénitude dès sa conception » (CEC 536 ; cf. aussi 695), puisque, comme le notait déjà le pape S. Grégoire le Grand, il n'a pas « été conçu et ensuite oint ; mais être conçu de l'Esprit Saint de la chair de la Vierge était la même chose qu'être oint par le Saint-Esprit »[6], que s'est-il passé à ce moment-là ? D'une part, la manifestation de son éternelle filiation divine, de son engendrement éternel à partir du Père dans l'éternel aujourd'hui de Dieu ; d'autre part, l'inauguration de sa mission messianique et publique dans le temps par un déploiement du dynamisme de l'Esprit Saint dans son agir humain : « Ce que Jésus était depuis sa conception est maintenant révélé au monde »[7].

 

Quant à nous qui contemplons ce Mystère à 2000 ans de distance, exultons, car Dieu le Père a voulu nous adopter en son Fils, nous rendre participants de la nature divine (2 P 1, 4) et nous associer à sa mission d'édifier la civilisation de l'Amour qui n'aura pas de fin. « Par le bain du baptême, il nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. [...] par sa grâce, nous sommes devenus des justes, et nous possédons dans l’espérance l’héritage de la vie éternelle » (Tt 3, 5.7).


[1] Denzinger 610s.

[2] Pour d'autres, cette adoption aurait eu lieu lors de la Résurrection ou de l'Ascension.

[3] Denzinger 301-302.

[4] Amor ipse notitia est, S. Grégoire le Grand, Homélie sur l'Évangile, 27, 4, PL 76.

[5] Benoît XVI, Préface à La lumière du Christ dans le cœur de l'Église, Jean-Paul II et la théologie des Saints. Retraite de carême avec Benoît XVI, François-Marie Léthel o.c.d.

[6] Lettre Quia caritati nihil aux évêques d'Ibérie ; Denzinger 479.

[7] Catéchisme des évêques de France 159.