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COMMENTAIRE DES PSAUMES 42-43

 

Introduction

 

Bien que séparés dans nos versions de la Bible, ces deux psaumes se présentent comme un seul dans plusieurs manuscrits hébreux. Leur unité se confirme du fait que le Ps 43 ne porte aucun titre sauf dans quelques manuscrits où il est dit « Psaume de David » , qu'ils possèdent un même refrain (Ps 42,6.12 ; 43,5) et que l'analyse de la structure révèle leur cohérence.

 

Ce psaume donc ouvre le deuxième livre du Psautier[1] et le recueil des fils de Coré (Ps 42-49 ; 84-85 ; 87-88) qui sont des lévites chantres. Selon la généalogie de Ex 6,16-21, Coré, dont le nom signifierait “tête chauve”, serait fils de Lévi. Selon Nb 16, il aurait été l'instigateur d'une révolte contre le monopole sacerdotal de la famille de Moïse de d'Aaron qui, par jugement divin, lui aurait coûté la vie. Mais les fils de Coré auraient survécu (Nb 26,11) et seraient les ancêtres des lévites coréïtes (Ex 6,24 ; Nb 26,58).

 

Les livres des Chroniques précisent les fonctions liturgiques qu'ils exercent dans le Temple de Jérusalem : chantres (1 Chr 6,22), portiers (9,19 ; 26,1.19) et préparateurs des offrandes frites (9,31). Ils sont supposés avoir été recrutés par David (26,1-19) et cités dans une campagne de Josaphat où ils interviennent pour louer Dieu à voix très haute (2 Chr 20,19).

 

Le thème central du psaume est le désir de paraître devant Dieu en son Temple. Loin du sanctuaire de Jérusalem et subissant des outrages de la part d'ennemis qui ne partagent pas sa foi, le psalmiste souhaite retrouver l'ambiance festive des célébrations liturgiques. Son Dieu est le Dieu vivant, non une idole inerte.

 

Commentaire

 

Psaume 42

 

1 Au Maître de choeur. Maskil des fils de Coré.

 

Le mot maskil n'apparaît que dans le Psautier, se trouve dans le titre de 13 psaumes (Ps 32 ; 42-45 ; 52-55 ; 74 ; 78 ; 88 ; 89 ; 142) et qualifie le verbe « psalmodier » dans le Ps 47,8. Sa traduction n'est pas aisée. On peut le rendre néanmoins par “instruction” ou “chant de sagesse”[2].

 

2 Comme un cerf soupire après les sources d'eau,
ainsi mon âme soupire après toi, mon Dieu
[3].
3 Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant ;
quand paraitrais-je devant la face de Dieu ?

 

Le verbe rg rendu ici par « soupirer » ne se trouve qu'une seule fois en dehors du Psautier en Jl 1,20. Il a le sens de « haleter », « désirer ardemment ». Le prophète Joël emploie le mot pour décrire la soif des animaux en un temps de sécheresse et de désolation. C'est une telle soif que le psalmiste éprouve. Loin de Dieu, source de vie, il est à l'agonie. Dieu lui est aussi indispensable que l'eau. L'expression « Dieu vivant » ne revient qu'au Ps 84,3.

 

L'expression « paraître devant la face de Dieu » est une expression technique qui signifie “aller au sanctuaire”, “être admis en présence de Dieu” pour bénéficier de sa faveur (cf. Ex 23,15 ; 34,23-24 ; Dt 16,16).

 

4 Mes larmes sont ma nourriture le jour et la nuit,
tandis qu'on me dit quotidiennement : “Où est-il ton Dieu ?”

 

En place des eaux divines, le psalmiste n'a que ses larmes comme nourriture. La cause de sa détresse est double : il est loin du sanctuaire ; il entend les sarcasmes impies de ses ennemis (cf. Jl 2,17) qui doutent du pouvoir de Dieu devant le malheur du psalmiste.

 

5 Je suis rappeler ceci et j'ai répandu mon âme en moi :
oui, j'avançais vers la tente admirable jusqu'à la Maison de Dieu
parmi l'exultation et l'ovation de la multitude en fête.

 

La mémoire étant l'espérance du futur, le psalmiste se remémore l'heureux souvenir des cérémonies liturgiques auxquelles il prenait part. Ce retour sur le passé lui donne joie pour le présent et confiance en l'avenir.

 

6 Pourquoi es-tu triste, mon âme, et pourquoi te troubler ? [LXX][4]
Espère en Dieu, car de nouveau je lui rendrai grâce,
lui, le Salut de ma face et mon Dieu.

 

Le psalmiste s'exhorte lui-même à l'espérance et à la confiance en son Dieu qui est capable de le sauver. Les évangélistes feront allusion à ce verset de même qu'au suivant (Mt 26,38 ; Mc 14,34 ; Jn 12,27). Le contraste entre la joie passée et la tristesse présente est saisissant. L'attente d'un geste de salut venant de Dieu revient trois fois dans ce psaume (Ps 42,6.12 ; 43,5). Dans l'expression « salut de ma face », le mot « face » est pris au sens de la personne entière car c'est par elle que s'exprime le plus les émotions (joie, tristesse, colère... ; cf. Gn 4,5-6). « L'antidote au désespoir est de se souvenir de Dieu, de ce qu'Il a fait et peut encore faire[5]. »

 

7 En moi, mon âme est attristée ; [LXX][6]
c'est pourquoi je me souviens de toi depuis le Jourdain et l'Hermon,
depuis le mont Misar.

 

Ces allusions géographiques situent peut-être le psalmiste dans la Palestine du Nord, près du mont Hermon, sommet de l'Anti-Liban, qui culmine à environ 2800 mètres, non loin des sources du Jourdain. La montagne de « Misar » littéralement “petite montagne” n'est pas aisée à localiser. Le verset peut néanmoins être compris différemment si l'on retient une autre traduction pour la préposition hébraïque min, celle de “loin de”. Dans ce cas, le psalmiste dirait qu'il est loin de la Palestine, symbolisée au Nord par l'Hermon et les sources du Jourdain, et au sud par la montagne de Sion, lieu du Temple, dont la hauteur est modeste...

 

8 L'abîme appelle l'abîme à la voix de tes cataractes ;
toutes tes vagues et tes flots sont passés sur moi.

 

Ce verset difficile a reçu de belles interprétations spirituelles et mystiques. L'abîme de la misère humaine appellerait l'abîme de la miséricorde divine... Comment le comprendre au sens littéral ? L'abîme en Gn 1,2 et 7,11 désigne les eaux primordiales auxquelles le Psautier fait plusieurs fois référence (Ps 33,7 ; 36,7... ; 148,7). Elles symbolisent le malheur. Il faudrait donc entendre que le malheur du psalmiste est très grand et incessant : le malheur appellerait le malheur. Dans celui-ci, le lévite reconnaît la permission divine, donc la Providence à qui rien n'échappe...

 

9 Le jour, YHWH a mandé sa miséricorde,
et la nuit son chant est près de moi :
prière au Dieu de ma vie.

 

Sa foi en la Providence divine, le psalmiste l'exprime ici de manière positive. L'emploi du nom divin de l'alliance YHWH surprend dans ce Psautier élohiste. À l'amour divin qui entoure le fidèle durant le jour, répond un chant sous forme de prière de la part de celui-ci durant la nuit. Le malheur n'interrompt pas le dialogue entre Dieu et son ami. Dieu est bien le Dieu de l'amour et de la vie, malgré les apparences actuelles.

 

10 Je dis à Dieu : “Tu es mon soutien.
Pourquoi m'oublies-tu et pourquoi vais-je assombri
tandis que mon ennemi m'afflige ?”

 

Le contraste entre ce que le psalmiste sait de Dieu de part sa foi et son expérience, et ce qu'il vit actuellement provoque néanmoins des interrogations. Pourquoi Dieu laisse-t-il son fidèle dans la tribulation ? Pourquoi l'oublie-t-il ? Être oublié par Dieu ne caractérise-t-il pas la situation dans laquelle se trouvent les morts (Ps 88,6) ?

 

11 Tandis que mes os sont brisés,
mes adversaires m'insultent
et me disent quotidiennement :
“Où est-il ton Dieu ?”

 

De même que pour l'oubli, la brisure du verbe rṣḥ qui signifie “tuer” – des os est symbole de mort. Le psalmiste vit l'insulte de ses ennemis comme un véritable assassinat.

 

12 Pourquoi es-tu triste, mon âme et pourquoi te troubler ?
Espère en Dieu, car de nouveau je lui rendrai grâce,
lui, le Salut de ma face et mon Dieu.

 

La reprise du verset 6 exprime la force de l'espérance du psalmiste et fait de ces lignes le cœur même du psaume, comme le montrera encore son utilisation en finale.

 

Psaume 43

 

1 Juge-moi, mon Dieu,
et discerne ma cause au milieu d'une nation impie ;
de l'homme inique et trompeur délivre-moi.

 

Le psalmiste en appelle à Dieu Juge suprême pour qu'Il lui rende justice contre ses adversaires impies. Faut-il voir dans ceux-ci une nation étrangère ? Ce n'est pas sûr. Il pourrait s'agir d'israélites devenus infidèles à l'alliance en pratiquant la fraude et l'idolâtrie. La lamentation se fait ici prière. La méditation du passé provoque ce cri pour que Dieu renouvelle ses merveilles au nom de la justice et de la vérité.

 

2 Oui, tu es le Dieu de mon refuge.
Pourquoi me repousses-tu et pourquoi vais-je assombri,
tandis que mon ennemi m'afflige ?

 

L'épreuve subie est vécue par le psalmiste comme un rejet de Dieu à son égard. Être rejeté par celui ou celle qu'on aime constitue véritablement une souffrance terrible.

 

3 Envoie ta lumière et ta vérité ;
qu'elles me conduisent et m'amènent
à ta montagne saint et à ta tente.

 

Le psalmiste supplie Dieu de l'aider à retourner vers le Temple. Son désir de Dieu s'approfondit dans la souffrance. La lumière est peut-être une allusion à la colonne qui avait guidé les israélites lors de l'exode. Ce que Dieu a fait jadis, Il peut le refaire aujourd'hui.

 

4 Alors je monterai à l'autel de Dieu,
au Dieu de ma joie et de mon exultation.
Je te rendrai grâce sur la cithare, ô Dieu, mon Dieu.

 

Dieu a tout à gagner dans le retour de son fidèle. Il recevra une louange d'action de grâce.

 

5 Pourquoi es-tu triste, mon âme et pourquoi te troubler ?
Espère en Dieu, car de nouveau je lui rendrai grâce,
lui, le Salut de ma face et mon Dieu.

 

Comme précédemment après chaque supplication, le refrain réaffirme l'espérance du psalmiste en Dieu son Sauveur. Dans l'abattement, l'attente confiante en Dieu est source de paix.


[1] « Le premier livre du Psautier nous détourne du mensonge et de “l'absurde” pour chercher Dieu, apprendre à le goûter et le désirer. Au livre II, la bonne habitude nous attire vers le bien comme une sorte de soif. C'est pourquoi le livre s'ouvre par une comparaison avec l'animal qui est comme un symbole de la soif : le cerf. » S. Grégoire de Nysse, Sur les titres des psaumes, I,5.

[2] Pour une analyse détaillée de ce terme, cf. Vesco J.-L., Le psautier de David, Lectio divina 210, I, p. 302.

[3] « Cours à la fontaine ; aspire à la source ; cours-y comme un cerf ! C'est-à-dire sans lenteur, sans muser... car le cerf nous apparaît comme un prodige de rapidité. » S. Augustin, Enarr. in psalmos, 41,2

[4] TM : « Pourquoi te dissous-tu mon âme et es-tu en tumulte sur moi ? »

[5] Vesco J.-L., Le psautier de David, Lectio divina 210, I, p. 396.

[6] TM : « Sur moi, mon âme se dissout ».