LA NOTION CHRISTOLOGIQUE DE MÉDIATEUR

INTRODUCTION

Si Jésus-Christ est le salut en personne, c'est parce qu’il est le Médiateur entre Dieu et les Hommes. Il fait le lien entre le mystère de la Trinité et la communauté des Hommes sauvés. Mieux, il est le lieu d'un admirable échange entre Dieu et les Hommes. C'est pourquoi on peut parler du Christ comme du « sacrement de la rencontre de Dieu[1]» en tant qu'il est le signe et l'instrument de l'agir sauveur de Dieu. Par lui, avec lui et en lui, Dieu se réconcilie avec les Hommes et réconcilie les Hommes entre eux. De ce sacrement primordial découle la sacramentalité de l’Église.

LE TERME « MÉDIATEUR » DANS LE NOUVEAU TESTAMENT

Le terme « médiateur » apparaît 6 fois dans le Nouveau Testament, 2 fois pour désigner Moïse lors du don de la Loi au Sinaï (Ga 3,19.20) et 4 fois à propos du Christ (1 Tim 2,5-6 ; He 8,6 ; 9,15 ; 12,24).

1 Tim 2,5-6

« Dieu est unique, unique aussi le médiateur de Dieu et des Hommes, le Christ Jésus, Homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous. » Cette confession de foi comporte deux membres – un seul Dieu, un seul Médiateur – mais l'accent est mis sur l'unicité de Dieu, autrement dit sur le monothéisme. Le mot « Médiateur » y a pour fonction d’exprimer en condensé l’identité et l’œuvre de Jésus. L’humanité du Christ est fortement soulignée dans cette formule. Si le Médiateur tire son origine de Dieu, il doit être aussi du côté des Hommes pour exercer sa médiation. Enfin cette médiation est exprimée avec le vocabulaire de la rédemption. Fondée dans l’Incarnation, elle ne s’accomplit que dans la passion du Christ.

He 8,6 ; 9,15 ; 12,24

« Le Christ [...] meilleure est l'alliance dont il est le médiateur. » ; « il est médiateur d'une nouvelle alliance » ; « Jésus médiateur d'une alliance nouvelle. » Ces textes désignent le Christ dans le contexte de l’Alliance. Les mots sont attachés au nom de Grand-Prêtre et à l’œuvre de passion par laquelle l’Alliance a été scellée. Ils présentent ainsi le sacerdoce de Jésus comme une entreprise de médiation.

LES PÈRES ET LA MÉDIATION DU CHRIST

S'appuyant sur les textes de l'Écriture que nous venons de citer, la tradition patristique a cherché à saisir la médiation du Christ selon deux voies, celle des Pères grecs et celle des Pères latins.

Les Pères grecs

Pour eux, le Christ est médiateur selon son être théandrique, c'est-à-dire en tant qu'il est Dieu et homme. Sa médiation tient à sa double consubstantialité. Saint Irénée écrit : « Il fallait que le Médiateur de Dieu et des Hommes, par sa parenté avec chacune des deux parties, les ramenât l'une et l'autre à l'amitié.[2]» Et Cyrille d'Alexandrie : « Il était attaché à la substance de Dieu le Père en tant que Dieu, et il prenait la nôtre en tant qu'il s'est fait homme.[3]»

Face à l'arianisme qui soutenait que dans son être même le Verbe n'était ni vraiment Dieu ni vraiment homme, la tradition orientale, a pris soin de ne pas attribuer la qualité de médiateur dans le Christ à son être divin de Verbe. Ainsi Athanase d’Alexandrie et Grégoire de Nysse affirmèrent que le Fils éternel n’est ni médiateur, ni intermédiaire : il est Dieu, c’est-à-dire auteur et source de salut au même titre que le Père. Le Verbe est médiateur seulement en tant que Verbe incarné, unissant en lui l’humanité et la divinité. Cyrille d'Alexandrie ajoute que puisque le Christ nous possède en lui, nous l'avons également en nous grâce à l'Esprit Saint qu'il nous a donné. La médiation ne se limite donc pas au point de vue ontologique : elle s’accomplit dans l’Esprit Saint qui nous confère la filiation adoptive.

Dans la perspective des Pères grecs, l'union hypostatique est centrale, mais elle comprend aussi tout l'agir rédempteur du Christ.

Les Pères latins

Sans exclure la médiation du Christ basée sur son être théandrique, les Pères latins, saint Augustin notamment, vont insister avant tout sur l'humanité sainte de Jésus. En tant qu’homme, le Christ est parfaitement saint, il est plein de grâce et accomplit toute justice. Par cette grâce qu’elle possède en plénitude, par l’action sainte de sa Pâque, l’humanité de Jésus est ainsi en communion avec Dieu. En même temps, et toujours selon son humanité, le Christ est en communion avec les Hommes. Il y a donc conjonction dans le Christ-homme de la condition humaine qu’il possède avec nous et de la communion avec Dieu par sa plénitude de grâce. Par la sainteté de son humanité, le Christ est uni à Dieu. Par la faiblesse de son humanité, il est en communion avec nous.

LA SYNTHÈSE DE SAINT THOMAS D'AQUIN

Thomas cherche à penser le double aspect de la médiation tel qu'il a été mis en lumière par les Pères grecs et latins. Pour ce faire, il part de l'œuvre historique de réconciliation accomplie par le Christ en s'appuyant sur ce texte de saint Paul : « C'était Dieu qui dans le Christ se réconciliait le monde » (2 Co 5,19)[4]. Puis, il note que le médiateur réunit les extrêmes tout en leur étant distincts. Or, en tant qu'il est Dieu, le Christ ne peut être médiateur car il n'est pas distinct de Dieu. Sa médiation ne peut se réaliser que selon son humanité qui, pleine de grâce, le rend proche de Dieu, et qui faisant de lui un homme le rend proche de nous. De même, l'humanité du Christ le distingue et de Dieu, en raison de sa finitude[5], et de l'Homme, « par dignité de grâce et de gloire. » Enson humanité, le Christ assure son office de liaison – officium coniungendi – propre au médiateur : d’un côté, il transmet aux Hommes les préceptes et les dons de Dieu, de l’autre, il satisfait et intercède pour les Hommes auprès de Dieu.

Toutefois, si le Christ est médiateur en son humanité, c’est bien parce que son humanité est celle du Verbe incarné. Le Christ ne serait pas plein de grâce et de vérité si sa nature humaine n'était pas unie hypostatiquement au Verbe. Par là, saint Thomas rejoint l'enseignement des Pères grecs. L'union hypostatique est le fondement premier de la médiation du Christ. si le Christ est médiateur en son humanité, c’est parce que cette humanité est celle de l’homme-Dieu, du Verbe incarné. Il y a donc chez Saint Thomas une priorité à la ligne des Pères grecs, mais sur cette base, le rôle de l’humanité de Jésus est extrêmement valorisé.

MÉDIATION DESCENDANTE ET MÉDIATION ASCENDANTE

La médiation du Christ s'exerce de Dieu à l'Homme et de l'Homme à Dieu. Le premier mouvement porte le nom de « médiation descendante », le second de « médiation ascendante. » Ses deux mouvements, profondément unis, ont pour fruit la réconciliation. La médiation descendante, toujours première, est un acte de Dieu sur les Hommes par l'humanité du Christ. Elle porte en elle toute la force de l'efficience divine. La médiation ascendante désigne la réponse que l'Homme donne à Dieu dans le Christ. Dans ce cas, la liberté humaine grâciée du Christ répond à l'initiative divine.

Il faut tenir ensemble ces deux mouvements sans quoi, à ne considérer que la médiation descendante, on oublie que Dieu ne sauve pas l'Homme malgré lui, sans solliciter sa libre collaboration, et à ne considérer que la médiation ascendante, on risque de croire que l'Homme peut se sauver lui-même. La médiation descendante comporte notamment les aspects d'illumination, de libération et de divinisation, tandis que la médiation ascendante inclut la prière du Christ, son mérite, sa satisfaction et son sacrifice. Si l’on cherche à voir le rapport intérieur que les deux types de médiations entretiennent, il faut dire que la médiation ascendante en Jésus ne peut se développer que sur la base d’un don reçu par la médiation descendante.

CONCLUSION

Le Christ vrai Dieu et vrai homme est l'unique médiateur entre Dieu et les Hommes. Pourtant, dans son infini bonté, il a plu à Dieu de rendre d'autres hommes participant de cette médiation pour qu'ils collaborent à leur propre salut et à celui des autres. Eux aussi donc sont « appelés médiateurs entre Dieu et les hommes sous un certain rapport, c'est-à-dire pour autant qu’ils coopèrent à unir les Hommes à Dieu d’une façon dispositive ou ministérielle.[6]» Cela est vrai bien sûr pour les ministres de l'Église, mais aussi de tout chrétien qui par la grâce qu'il a reçue peut mériter et satisfaire pour autrui.

BIBLIOGRAPHIE

  • Rémy, G., « Le Christ médiateur dans l’œuvre de saint Thomas d’Aquin », RT 93 (1993).
  • Soujeole de la B.-D., Cours spécial sur le sacerdoce, Fribourg, 2005.
  • St. Thomas, Somme de théologie, IIIa, q. 26.
  • Torrell, J.-P., « Appendice I. Notes explicatives », dans saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, Le Verbe incarné, t. 3, Questions 16-26, Paris, 2002, p. 287-389.

[1] Cf. Schillebeeckx E., Le Christ sacrement de la rencontre de Dieu, Cerf, 1997.

[2] AH III, 18,7.

[3] Lettre festale, XIII,4.

[4] Cf. ST IIIa, q. 26, a. 1.

[5] "Il est à distance par nature" ST IIIa, q. 26, a. 2.

[6] ST IIIa, q. 26, a. 1.