AUDIENCE GENERALE DU MERCREDI 15 FEVRIER 2006
Pape Benoît XVI
46. Marie dit alors :
« Mon âme exalte le Seigneur,
47. mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur
48. Il s'est penché sur son humble servante ;
désormais tous les âges me diront bienheureuse.
49. Le Puissant fit pour moi des merveilles ;
Saint est son nom !
50. Son amour s'étend d'âge en âge
sur ceux qui le craignent.
51. Déployant la force de son bras,
il disperse les superbes.
52. Il renverse les puissants de leurs trônes,
il élève les humbles.
53. Il comble de bien les affamés,
renvoie les riches les mains vides.
54. Il relève Israël son serviteur,
il se souvient de son amour,
55. de la promesse faite à nos pères,
en faveur d'Abraham et de sa descendance à jamais. »
Chers frères et sœurs,
1. [...] Le Magnificat (Lc 1, 46-55) est un chant qui révèle en filigrane la spiritualité des anawim bibliques, c'est-à-dire de ces fidèles qui se reconnaissaient « pauvres » non seulement en vertu de leur détachement de toute idolâtrie de la richesse et du pouvoir, mais également en vertu de l'humilité profonde de leur cœur, dépouillé de la tentation de l'orgueil, ouvert à l'irruption de la grâce divine salvatrice. En effet, tout le Magnificat [...] est marqué par cette « humilité », en grec tapeinosis, qui indique une situation concrète de pauvreté et d'humilité.
2. Le premier mouvement du cantique marial (cf. Lc 1, 46-50) est une sorte de voix soliste qui s'élève vers le ciel pour atteindre le Seigneur. On peut en effet noter la répétition constante de la première personne: «Mon âme... mon esprit... mon Sauveur... me diront bienheureuse... fit pour moi des merveilles...». L'âme de la prière est donc la célébration de la grâce divine qui a fait irruption dans le cœur et l'existence de Marie, faisant d'elle la Mère du Seigneur. Nous entendons vraiment la voix de la Madone, qui parle ainsi de son Sauveur, qui a fait de grandes choses dans son âme et dans son corps.
La structure profonde de son chant de prière est donc la louange, l'action de grâce, la joie reconnaissante. Mais ce témoignage personnel n'est pas solitaire et intimiste, purement individualiste, car la Vierge Marie est consciente d'avoir une mission à accomplir pour l'humanité, et son histoire s'inscrit à l'intérieur de l'histoire du salut. Et ainsi, elle peut dire: « Son amour s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent » (v. 50). Avec cette louange du Seigneur, [Marie] donne voix à toutes les créatures rachetées qui, dans son Fiat, et ainsi dans la figure de Jésus né de la Vierge, trouvent la miséricorde de Dieu.
3. C'est là que se déroule le second mouvement poétique et spirituel du Magnificat (cf. vv. 51-55). Celui-ci fait davantage penser à un chœur, comme si, à la voix de Marie, s'associait celle de toute la communauté des fidèles qui célèbrent les choix surprenants de Dieu. Dans l'original grec de l'Evangile de Luc, on trouve sept verbes à l'aoriste, qui indiquent tout autant d'actions que le Seigneur accomplit de manière permanente dans l'histoire: « Déployant la force de son bras... il disperse les superbes... il renverse les puissants... il élève les humbles... il comble de biens les affamés... renvoie les riches... il relève Israël ».
Dans ces sept œuvres divines, le « style » dont s'inspire le comportement du Seigneur de l'histoire est évident: il se range du côté des derniers. Il possède un projet qui est souvent caché sous l'apparence terne des événements humains, qui voient triompher « les superbes, les puissants et les riches ». Et pourtant, sa force secrète est destinée à se révéler à la fin, pour montrer qui sont les véritables préférés de Dieu: « Ceux qui le craignent », fidèles à sa parole ; « les humbles, les affamés, Israël son serviteur », c'est-à-dire la communauté du Peuple de Dieu qui, comme Marie, est constituée par ceux qui sont « pauvres », purs et simples de cœur. C'est ce « petit troupeau » qui est invité à ne pas avoir peur, car le Père a trouvé bon de lui donner son royaume (cf. Lc 12, 32). Et ainsi, ce chant nous invite à nous associer à ce petit troupeau, à être réellement membres du Peuple de Dieu, dans la pureté et dans la simplicité du cœur, dans l'amour de Dieu.
4. Recueillons alors l'invitation que saint Ambroise nous adresse dans son commentaire au texte du Magnificat. Le grand docteur de l'Eglise dit : « Qu'en chacun ce soit l'âme de Marie qui exalte le Seigneur, qu'en chacun ce soit l'esprit de Marie qui exulte en Dieu ; si, selon la chair, la mère du Christ est unique, selon la foi, toutes les âmes engendrent le Christ ; chacune, en effet, accueille en elle le Verbe de Dieu... L'âme de Marie exalte le Seigneur, et son esprit exulte en Dieu, car, consacrée en âme et en esprit au Père et au Fils, celle-ci adore avec une pieuse affection un seul Dieu, dont tout provient, et un seul Seigneur, en vertu duquel existent toutes les choses » (Discours sur l'Evangile selon Luc, 2, 26-27: SAEMO, XI, Milan-Rome 1978, p. 169). Dans ce merveilleux commentaire du Magnificat de saint Ambroise, cette phrase surprenante me touche toujours de façon particulière: « Si, selon la chair, la mère du Christ est unique, selon la foi, toutes les âmes engendrent le Christ ; chacune, en effet, accueille en elle le Verbe de Dieu ». Ainsi, le saint Docteur, interprétant la parole de la Madone elle-même, nous invite à faire en sorte que dans notre âme et dans notre vie, le Seigneur trouve une demeure. Nous ne devons pas seulement le porter dans le cœur, mais nous devons l'apporter au monde, afin que nous aussi nous puissions engendrer le Christ pour notre temps. Prions le Seigneur afin qu'il nous aide à l'exalter avec l'esprit et l'âme de Marie, et à apporter à nouveau le Christ à notre monde.