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RÉJOUIS-TOI, COMBLÉE-DE-GRÂCE...
LA SALUTATION DE L'ANGE GABRIEL À MARIE

 
L'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de Nazareth,
 à une vierge mariée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la vierge était Marie.
 Il entra et lui dit : "Réjouis-toi, comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi".
Lc 1, 26-28


Le texte grec de cette salutation porte les mots : Kaïré, kecharitôménè, ò Kúrios metà soû.


RÉJOUIS-TOI / KAÏRÉ
 

Cette salutation ne correspond pas à la salutation-souhait sémite ordinaire : Shalôm (paix, bien-être, prospérité), celle-ci étant en effet toujours traduite par le grec eirènè dans la version des Septantes (cf. par exemple Jg 19, 20). Elle est d'ailleurs moins une salutation qu'une invitation à la joie sous forme d'impératif : Réjouis-toi !


Pour mieux comprendre cette invitation de l'ange, il faut se reporter à l'usage qu'en fait l'Ancien Testament. On la trouve en deux textes prophétiques qui sont des annonces de délivrance faite à la fille de Sion, autrement dit le peuple d'Israël :
 

            So 3, 14-17                                                                                                Za 2, 14 / 9, 9

                       Pousse des cris de joie, fille de Sion !                                                            Chante, réjouis-toi, fille de Sion,

                            une clameur d'allégresse, Israël !                                                                       car voici que je viens

     Réjouis-toi, triomphe de tout ton coeur, fille de Jérusalem ! (...)                                     pour demeurer au milieu de toi,

                           Le Seigneur est roi d'Israël en toi.                                                                          oracle du Seigneur !

                         Tu n'as plus de malheur à craindre.                                                                Exulte avec force, fille de Sion !

                             (...) Ne crains pas, Sion ! (...)                                                                       Crie de joie, fille de Jérusalem !

                           Le Seigneur ton Dieu est en toi,                                                             ton roi vient à toi, juste et victorieux

                                    en vaillant Sauveur !

Ces oracles exhortent la fille de Sion à se réjouir, à laisser toute crainte, parce que le Seigneur est avec elle, en elle, comme son Roi et son Sauveur. Lc 1, 28-33 les actualise en les applicant à Marie :
 

 So 3, 14-17                                                                                                Lc 1, 26-33

       Réjouis-toi, triomphe de tout ton coeur, fille de Jérusalem ! (...)                                   Réjouis-toi, comblée-de-grâce,
                 Le Seigneur est roi d'Israël en toi.                                                                           le Seigneur est avec toi
                  (...) Ne crains pas, Sion ! (...)                                                                                   Ne crains pas, Marie...
              
Le Seigneur ton Dieu est en toi,                                                Voici que tu concevras en ton sein et enfanteras un fils,
                          
en vaillant Sauveur !                                                                  tu lui donneras pour nom : Le-Seigneur-sauve
                                                                                                                                                         
Il régnera

On le voit, par sa salutation, l'ange signifie à Marie qu'elle est la fille de Sion par excellence. Le Réjouis-toi ne peut se comprendre que dans ce contexte. Mais que recouvre au juste l'expression fille de Sion ? Il s'agit de la personnification d'une communauté. Un bourg, distant d'une ville mais rattaché à elle, est communément appelé chez les sémites « fille » de cette ville. Jérusalem est souvent appelée Sion, et l'expression fille de Sion a désigné le quartier neuf de Jérusalem où s'était réfugiée la population rescapée du désastre de Samarie (cf. la fin du royaume de Juda en 721). Il s'agissait du « reste » d'Israël. Le prophète Michée est le premier à user de cette expression (Mi 4, 10-13).


Ce reste est porteur d'une espérance nouvelle qui est la délivrance d'Israël et qui s'exprime par l'annonce d'une naissance royale : Et toi, Bethléem, Ephrata, le moindre des clans de Juda, c'est de toi que me naîtra celui qui doit régner sur Israël (Mi 5, 1) ; Voici que la vierge est enceinte... Emmanuel [Dieu-avec-nous] (Is 7, 14). Il est trop clair d'après le récit de saint Luc que ces prophéties s'accomplissent en Marie.


Mais il y a plus : Au retour d'exil, la fille de Sion, ou Sion (les deux expressions sont interchangeables ; Is 62, 11), qui est humble et humiliée (So 3, 12) et qui va être renouvelée par l'amour de Dieu désireux de rassembler tous les dispersés (So 3, 17), est une mère qui enfante dans la joie (Is 66, 6-10) : le Salut par la naissance de l'enfant royal (Is 7-12 : livre de l'Emmanuel) entraîne la naissance d'une multitude de fils : Crie de joie, stérile qui n'a pas enfanté ; pousse des cris de joie, toi qui n'as pas mis au monde, car plus nombreux sont les fils de la délaissée... (Is 54, 1). Is 66 lie ces deux faits : v. 7 : avant que vienne la douleur, elle a enfanté un garçon; v. 8 : Peut-on mettre au monde une nation en un jour et en une seule fois ?


En identifiant Marie à la fille de Sion, S. Luc joue sur les deux plans : le plan personnel de Marie (humble, espérant tout de Dieu, vierge, Mère du Roi sauveur...), et le plan communautaire (Marie personnifie la communauté, le reste fidèle). Ces deux plans sont liés : l'union de Dieu avec son peuple nouveau se noue en la personne individuelle de Marie. La réalité que l'Ancien Testament prophétisait en une personne allégorique (la fille de Sion) se découvre maintenant dans une personne physique, concrète et vivante : Marie va être mère d'un peuple nouveau en mettant au monde Celui à partir duquel ce peuple va exister : le Christ de Dieu.
 

COMBLÉE-DE-GRÂCE / KÉCHARITÔMÉNÈ
 

Comblée-de-grâce, Pleine de grâce : c'est ainsi que l'on traduit habituellement le terme grec Kécharitôménè appliqué à Marie et qui se retrouve seulement dans la Bible sous une forme masculine en Si 18, 17. Plus littéralement, on pourrait le rendre par : celle-qui-a-été-et-qui-demeure-l'objet-de-la-faveur-divine ; en effet, la forme verbale grecque est le participe parfait passif ; elle signifie donc une faveur qui perdure, une faveur stable et définitive. L'ange y insiste au verset 30 : Tu as trouvé grâce auprès de Dieu.


Quant à l'idée de plénitude, elle n'est pas clairement contenue dans Kécharitôménè. C'est pourtant celle que la traduction latine a privilégié : gratia plena / pleine de grâce.


Voici néanmoins ce que disait le pape Jean-Paul II lors de l'audience générale du mercredi 8 mai 1996 :
 

Les mots grecs kaïré et kécharitôménè ont entre eux une connexion profonde : Marie est invitée à se réjouir surtout parce que Dieu l’aime et l’a remplie de grâce en vue de la maternité divine ! [...]

Kécharitôménè : ce titre donné à Marie apparaît comme un titre propre à la femme destinée à devenir la mère de Jésus. Le rappelle opportunément la constitution dogmatique Lumen gentium, qui affirme : La Vierge de Nazareth est, par ordre de Dieu, saluée par l’ange comme « pleine de grâce » (LG 56).

La salutation angélique donne à ce titre une valeur plus haute : ce titre manifeste le mystérieux dessein salvateur de Dieu à l’égard de Marie. Comme je l’ai écrit dans l’encyclique Redemptoris Mater : Mais la plénitude de grâce désigne en même temps tous les dons surnaturels dont Marie bénéficie en rapport avec le fait qu’elle a été choisie et destinée à être Mère du Christ (n° 9).

« Pleine de grâce », c’est le nom de Marie aux yeux de Dieu. L’ange, en effet, selon le récit de l’évangéliste Luc, utilise ce nom avant de prononcer le nom de « Marie », en mettant ainsi en évidence que ce nom a une valeur primordiale dans la personnalité de la Vierge de Nazareth.


L’expression Pleine de grâce traduit le mot grec Kécharitôménè qui est un participe passif. Pour rendre avec plus exactitude la nuance du terme grec, on ne devrait pas dire simplement Pleine de grâce, mais Rendue pleine de grâce ou Comblée de grâce, ce qui indiquerait clairement qu’il s’agit d’un cadeau fait par Dieu à la Vierge. Le terme, dans la forme de participe parfait, accrédite l’image d’une grâce parfaite et durable qui implique une plénitude. Le même verbe, dans le sens de Donner la grâce, est utilisé dans la Lettre aux Éphésiens pour indiquer l’abondance de la grâce, qui nous est accordée par le Père dans son Fils bien-aimé (Ep 1, 6). Marie la reçoit comme prémices de la rédemption (cf. Redemptoris Mater, n° 10).

[...] En Marie tout dérive d’une grâce souveraine. Ce qui lui est accordé ne vient d’aucun mérite personnel, mais simplement de la prédilection divine, libre et gratuite.

[...] En Marie, à l’aube du Nouveau Testament, la gratuité de la miséricorde divine atteint le degré suprême. En elle la prédilection de Dieu témoignée au peuple élu, et en particulier aux humbles et aux pauvres, atteint son comble.

LE SEIGNEUR EST AVEC TOI

Cette expression se rencontre pour la première fois en Gn 26, 28 dans la bouche d'Abimélek, roi des Philistins, et elle est adressée à Isaac : Nous avons vu à l'évidence que le Seigneur était avec toi. À quoi Abimélek a-t-il vu cela ? À la prospérité d'Isaac : Isaac fit des semailles dans ce pays et, cette année-là, il moissonna le centuple. Le Seigneur le bénit et l'homme s'enrichit, il s'enrichit de plus en plus, jusqu'à devenir extrêmement riche. Il avait des troupeaux de gros et de petit bétail et de nombreux serviteurs. Les Philistins en devinrent jaloux. (Gn 26, 12-14). Cette faveur, Dieu la lui affirme un peu plus tard au cours d'une révélation nocturne : Le Seigneur lui apparut cette nuit-là et dit : Je suis le Dieu de ton père Abraham. Ne crains rien, car je suis avec toi. Je te bénirai, je multiplierai ta postérité, en considération de mon serviteur Abraham. (Gn 26, 24).

Cette expression ne recouvre donc pas seulement l'abondance des biens matériels ; elle comprend également une postérité. 2 S 7, 3 y ajoute encore plus explicitement l'idée de protection et de réussite : Natan dit au roi [David] : Tout ce que tu as l'intention de faire, va le faire, car le Seigneur est avec toi. Enfin, reprise par l'ange du Seigneur en Jg 6, 12 et adressée à Gédéon, elle implique une mission, et une mission de Salut : L'ange du Seigneur lui apparut et lui dit : Le Seigneur est avec toi, vaillant guerrier ! Gédéon est en effet appelé par Dieu à délivrer Israël : Tu sauveras Israël de la main de Madiân [...] Je serai avec toi et tu battras Madiân comme si c'était un seul homme (Jg 6, 14.16). Il demande alors un signe que cette parole vient bien de Dieu : Gédéon lui dit : " Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, donne-moi un signe que c'est toi qui me parles (Jg 6, 17). Et ceci nous ramène au récit de l'Annonciation quand l'ange Gabriel dit à Marie : Tu as trouvé grâce auprès de Dieu (Lc 1, 30).

Il faut donc conclure que l'expression Le Seigneur est avec toi adressée à Marie ne fait que renforcer son titre de Comblée-de-grâce en lui ajoutant l'idée d'une mission qui va s'éclairer petit à petit à ses yeux : celle de donner naissance au Christ de Dieu qui vient sauver son peuple de ses péchés et de la mort.

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