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Sur la lectio divina

DE LA LECTURE DE LA BIBLE A LA CONTEMPLATION DIVINE :
LES QUATRE DEGRÉS DE LA LECTIO DIVINA

La lectio divina ou lecture divine est une lecture croyante, priante et assidue de la Parole de Dieu contenue dans la Bible qui vise à la contemplation de Dieu pour le peu qu’elle est possible ici-bas.

Dans un ouvrage intitulé « L’échelle des cloîtrés », Guigues II le Chartreux, qui fut prieur du monastère de la Grande Chartreuse à la fin du XIIe siècle, a su admirablement décrire les degrés qu’elle peut comporter. Voici ce qu’il écrit et que nous allons compléter par le non moins admirable texte du pape Benoît XVI aux n°86 et 87 de l’Exhortation apostolique sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église du 30 septembre 2010 :

Un jour, pendant le travail manuel, je commençai à penser à l’exercice spirituel de l’homme, et tout à coup s’offrirent à la réflexion de mon esprit quatre degrés spirituels : la lecture (lectio), la méditation (meditatio), la prière (oratio), la contemplation (contemplatio).

1er degré : La lecture est une inspection attentive des Écritures, faite par une âme appliquée. Mais on ne lit pas la Bible comme on lit un journal ou un roman. C’est un texte sacré, divinement inspiré ; en effet, « c’est portés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 P 1, 21). Aussi cette lecture présuppose la foi et il convient de la faire précéder d’une brève invocation à l’Esprit Saint, « car l’Esprit scrute le fond de toutes choses, même les profondeurs de Dieu. Qui donc, parmi les hommes, sait ce qu’il y a dans l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, personne ne connaît ce qu’il y a en Dieu, sinon l’Esprit de Dieu » (1 Co 2, 10-11). La lecture croyante et priante du texte sacré « provoque une question portant sur la connaissance authentique de son contenu : que dit en soi le texte biblique ? » (Benoît XVI).

2e degré : La méditation est une action studieuse de l’esprit cherchant la connaissance d’une vérité cachée sous la conduite de sa propre raison éclairée par la foi et stimulée par l’amour infusé dans le cœur par l’Esprit Saint (cf. Rm 5, 5). Elle « pose la question suivante : [que me dit], que nous dit le texte biblique ? Ici, chacun personnellement, mais aussi en tant que réalité communautaire, doit se laisser toucher et remettre en question, car il ne s’agit pas de considérer des paroles prononcées dans le passé mais dans le présent. » (Benoît XVI).

3e degré : La prière est une intention fervente du cœur vers Dieu pour les maux à enlever et les biens à désirer. Elle « suppose cette autre demande : que disons-nous au Seigneur en réponse à sa Parole ? La prière comme requête, intercession, action de grâce et louange, est la première manière par laquelle la Parole nous transforme. » (Benoît XVI).

4e degré : La contemplation est une élévation de l’esprit suspendu à Dieu, savourant les joies de l’éternelle douceur. « Au cours de [la contemplation] nous adoptons, comme don de Dieu, le même regard que Lui pour juger la réalité, et nous nous demandons : quelle conversion de l’esprit, du cœur et de la vie le Seigneur nous demande-t-il ? Saint Paul, dans la Lettre aux Romains affirme : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait » (Rm 12, 2). La contemplation, en effet, tend à créer en nous une vision sapientielle de la réalité, conforme à Dieu, et à former en nous « la pensée du Christ » (1 Co 2, 16). La Parole de Dieu se présente ici comme un critère de discernement : « elle est vivante, (…) énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle pénètre au plus profond de l’âme, jusqu’aux jointures et jusqu’aux moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur » (He 4, 12). ». (Benoît XVI).

Cette échelle à quatre degrés, Guigues l’applique notamment à la béatitude des cœurs purs prononcée par Jésus dans son enseignement sur la montagne : Bienheureux les cœurs purs car ils verront Dieu (Mt 5, 8).

La lecture fait descendre et résonner dans le cœur cette brève sentence, un peu comme si l’on mettait une grappe de raisin dans un pressoir.

Commence alors une méditation attentive qui examine le texte en profondeur, qui presse la grappe de raisin pour en extraire le jus :

Le Seigneur n’a pas dit : « Bienheureux les corps purs », mais « les cœurs purs », car il ne suffit pas d’avoir nos mains innocentes d’œuvres mauvaises, si notre esprit n’est pas purifié des pensées dépravées.

La lecture et la méditation nourrissent et stimulent l’intelligence, puis enflamment la volonté. Dès lors que naît et grandit le désir, en l’occurrence le désir de la pureté de cœur pour voir Dieu, ce désir, empreint d’humilité face à son objet inaccessible aux seules forces humaines, provoque la prière orale ou mentale qui en appelle à l’intervention divine : « Seigneur, crée en moi un cœur pur ! » (Ps 50, 10). Si l’on poursuit la métaphore de la grappe de raisin, la prière est l’expression du jus hors du pressoir.

Seigneur j’ai longtemps médité dans mon cœur (Ps 76, 7), et, dans ma méditation, un feu s’est immensément développé, le désir de te connaître davantage : « J’ai cherché ton visage » (Ps 26, 8).

Bien sûr, la prière ne peut violer la liberté divine parce que celle-ci est souveraine. La connaissance savoureuse de Dieu à laquelle elle aspire ne peut être qu’un don de la divine miséricorde, une grâce de l’Esprit Saint, l’Esprit de Sagesse qui seul donne la vraie sagesse, c’est-à-dire la science savoureuse qui réjouit et refait l’âme qu’elle visite de sa saveur inestimable. Le Seigneur en effet se présente à l’âme quand il veut pour la recréer, la nourrir, la rassasier, lui faire oublier tout le terrestre, la vivifier en la mortifiant par un oubli d’elle-même, et l’enivrer de son Amour. C’est là le quatrième degré de la lectio divina : la contemplation, qui, ici-bas, ne dure qu’un temps. Le Seigneur transforme le jus de raisin et nous enivre du vin de son Esprit qui nous fait expérimenter la sobre et merveilleuse ivresse qu’il procure. Cette fugacité de la contemplation peut déstabiliser ; elle ne doit pas cependant troubler car, bien que caché, le Seigneur est toujours là :

Si l’Époux de notre âme se retire pour un peu de temps, s’il se dérobe en ce qui concerne la douceur de la contemplation, il demeure cependant présent quant au gouvernement de notre cœur.

Ne crains rien, ô épouse, ne désespère pas, ne te crois pas méprisée, si pour un peu de temps l’Époux te dérobe son visage. Tout cela concourt à ton bien (Rm 8, 28) ; le départ comme la venue de l’Époux sont un gain pour toi. Il est venu pour toi, et c’est encore pour toi qu’il se retire. Il est venu pour ta consolation, il se retire par prudence, pour que la grandeur de la consolation ne t’enorgueillisse pas (2 Co 12, 7), de peur que si lui, l’Époux, demeurait toujours avec toi, tu ne commences à mépriser tes compagnes et que tu n’attribues cette consolation, non plus à la grâce, mais à la nature. Or cette grâce est donnée quand le veut l’Époux et à qui il veut ; elle n’est point possédée comme par droit héréditaire. Selon un proverbe commun, « une trop grande familiarité engendre le mépris ».

Absent, qu’il soit désiré davantage ; désiré, qu’il soit cherché avec plus d’ardeur ; longtemps cherché, qu’il soit enfin trouvé avec plus de joie. En outre, si la consolation ne manquait jamais – bien qu’au regard de la gloire future qui sera révélée en nous (Rm 8, 18), elle soit seulement confuse et partielle (1 Co 13, 12) – nous penserions peut-être que nous avons ici-bas la cité permanente et nous chercherions moins la cité future (He 13, 14). Pour que nous ne prenions pas l’exil pour la patrie, ou les arrhes pour la récompense complète, l’Époux est venu de temps en temps et il est reparti, tantôt apportant la consolation, tantôt l’échangeant pour le lit tout entier douloureux d’un malade (Ps 40, 4). Il nous a permis de goûter un peu de temps combien grande est sa douceur (Ps 33, 9), mais avant que nous l’ayons pleinement ressentie, il s’est dérobé. Ainsi il nous provoque à prendre notre vol, en voletant au-dessus de nous les ailes presque étendues (Dt 32, 11), comme s’il disait : Voilà que vous avez un peu goûté ma suavité et ma douceur (1 P 2, 3), mais si vous voulez être pleinement rassasiés de cette douceur, courez à ma suite à l’odeur de mes parfums (Ct 1, 3), haussez vos cœurs jusque-là où je suis, à la droite du Père (Ac 7, 55). Là vous me verrez (Jn 16, 19), non plus en figure et en énigme, mais face à face (1 Co 13, 12), et votre cœur sera rempli de joie, et votre joie, nul ne pourra vous la ravir (cf. Jn 16).

Mais prends garde à toi, ô épouse : quand ton Époux s’absente, il ne se retire pas loin ; et si tu ne le vois plus, lui cependant te regarde toujours…Cet Époux est un époux jaloux : s’il t’arrive d’admettre un autre amour…aussitôt il s’éloigne de toi…S’il voit en toi une tache ou une ride, il détourne aussitôt son regard, car il ne peut supporter aucune impureté.

Et Lorsque, dans sa faiblesse, la pointe de l’esprit humain ne peut soutenir longtemps l’éclat de la vraie lumière, qu’il descende doucement et avec ordre vers l’un des trois degrés par lesquels il était monté… Qu’il demeure successivement, tantôt dans l’un, tantôt dans l’autre, selon qu’il y sera porté par son libre arbitre, en tenant compte du lieu et du moment…

En résumé, les quatre degrés de la lectio divina se suivent ainsi :

La lecture se présente la première, comme le fondement ; elle fournit un sujet et nous conduit à la méditation.

La méditation recherche plus attentivement ce qu’il faut désirer ; en creusant (Pr 2, 4), elle découvre le trésor (Mt 13, 44) et le montre ; mais comme elle ne peut le saisir par elle-même, elle nous conduit à la prière.

La prière, s’élevant de toutes ses forces vers le Seigneur, demande le trésor désirable : la suavité de la contemplation.

La contemplation, en survenant, récompense le labeur des trois premiers degrés ; elle enivre de la rosée d’une céleste douceur l’âme altérée.

Bienheureux celui qui, appliqué au premier degré, attentif à chercher au deuxième, fervent au troisième, élevé au-dessus de lui-même au quatrième, monte en se fortifiant de plus en plus par ces chemins que Dieu a disposés vers lui dans son cœur, jusqu’à ce qu’il voit Dieu lui-même en Sion… Mais souvenons-nous que la puissance du Seigneur est sans limites… : il lui arrive de se présenter sans être appelé, de se donner sans être cherché…

Il y a néanmoins quatre causes, écrit encore Guigues, qui nous soustraient parfois à ces degrés, à savoir une nécessité inévitable, l’utilité d’une bonne action, l’infirmité humaine, ou bien une vanité mondaine. La première est excusable, la deuxième tolérable, la troisième misérable, la quatrième coupable.

À propos de la deuxième, l’utilité de l’action, il convient finalement de noter « que la lectio divina ne s’achève pas comme dynamique tant qu’elle ne débouche pas dans l’action (actio), qui porte l’existence croyante à se faire don pour les autres dans la charité » (Benoît XVI), et qui de la sorte témoigne de la vérité de notre contemplation, ainsi que et surtout de la vérité et de la bonté divines : « C’est par mes œuvres que je te montrerai la foi », écrit l’apôtre Jacques (Jc 2, 18). Et bien plus tard, en un remarquable enseignement aux filles de la charité, saint Vincent de Paul dira que de suspendre la lecture spirituelle pour le service du prochain et particulièrement des pauvres « ce n'est point quitter Dieu que de quitter Dieu pour Dieu, c'est-à-dire une œuvre de Dieu pour une autre […] faire tout cela c'est servir Dieu. Car […] la charité est par-dessus toutes les règles. » (Entretien avec les filles de la charité).