DÉFINITION ET TYPOLOGIE DE LA JUSTICE

 

Introduction

 

Le Catéchisme de l'Église catholique définit la justice comme « la vertu morale qui consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû » (CEC 1807). En nous appuyant sur l'étude de cette vertu réalisée par S. Thomas d'Aquin (cf. IIa IIae, q. 57-58), nous expliciterons la présente définition en considérant la justice tout d'abord en tant que vertu morale, puis selon son objet, enfin en sa typologie.

 

La justice : une vertu morale (cf. q. 58)

 

La justice : une vertu de la volonté (a. 3-6)

 

Dire de la justice qu'elle est une vertu, c'est dire qu'elle est un habitus opératif bon, une disposition stable à bien agir, qui qualifie une puissance de l'âme, en l'occurrence la volonté, et qui rend bons celui qui agit et son œuvre. Que la justice a son siège dans la volonté et non dans l'intelligence, il est aisé de le comprendre du fait que nul n'est qualifié de juste en raison de sa connaissance exacte de quelque chose, mais parce qu'il accomplit quelque chose avec droiture lorsqu'il rend à chacun ce qui lui est dû.

 

Particularité de la vertu cardinale de justice (a. 7)

 

La justice est une vertu dite « cardinale » (du latin cardo qui signifie « gond ») parce que nombre d'autres vertus lui sont rattachées, comme par exemple les vertus de religion, piété et obéissance. Mais, alors que les trois autres vertus cardinales de prudence, force et tempérance et leurs vertus annexes ne perfectionnent l'homme que dans ce qui le concerne personnellement, la vertu de justice a pour fonction propre d'ordonner l'homme en ce qui est relatif à autrui.

 

La justice : une vertu acquise et infuse

 

De même que pour les trois autres vertus cardinales, il existe, selon S. Thomas[1], une vertu de justice acquise et une vertu de justice surnaturelle. La première naît de la répétition d'actes et est ordonnée aux affaires humaines et à la cité terrestre, tandis que la seconde est directement infusée dans l'âme par Dieu et concerne le salut de l'homme et son appartenance à la Cité céleste, à l'Église. Néanmoins, l'une comme l'autre a besoin d’être exercée pour atteindre sa perfection.

 

L'objet de la justice (q. 57)

 

La justice a pour objet le droit, jus, qui, en ce qu'il est constitué par son rapport avec autrui, existe indépendamment de la personne qui pratique la justice. « Nous appelons juste, justum, dans notre action, écrit S. Thomas, ce qui correspond à autre chose selon une certaine égalité, par exemple le paiement d'un salaire qui est dû en raison d'un service » (a. 1). Le droit est une donnée objective, il est ''ce qui est juste'', la chose due à autrui à égalité et à quoi la personne qui donne doit s'adapter, s'ajuster. Le droit implique donc trois éléments : une altérité (toujours une personne), une exigence objective et une égalité[2].

 

Outre cette distinction, on divise habituellement le droit en deux grandes catégories : le droit naturel et le droit positif (cf. a. 2) :

  • Le droit naturel : il repose sur la nature même des choses et des personnes, et est antérieur à toute convention humaine. De ce fait, il est immuable, indépendant des temps, des lieux et des cul-tures. Tout homme a naturellement droit, par exemple, au respect de sa vie, de sa réputation et de ses biens. Ce droit ne prescrit jamais que des actes toujours bons (donner la vie), et interdit des actes intrinsèquement mauvais (tuer un innocent).

  • Le droit positif : il n'est plus de l'ordre de la nature, mais de la convention sociale. Toutefois, il faut préciser d'emblée que pour être juste il ne doit pas s'opposer au droit naturel sur lequel il est fondé. Il dépend d'un commun accord qui peut être soit privé, ainsi d'un pacte entre personnes privées, soit public quand il résulte du consentement d'un peuple ou de l'ordre d'un roi qui a la charge du peuple. À la différence du droit naturel, il peut prescrire certaines choses qui de soi sont indifférentes (rouler à droite par exemple), mais qui une fois commandées ou défendues deviennent bonnes ou mauvaises.

 

Typologie de la justice (q. 58, a. 5-8)

 

La justice, vertu morale qui a pour objet le droit, vise à régler les rapports avec autrui. Celui-ci peut être soit un ensemble d'individus (communauté, cité, pays...), appelé aussi « personne corporative », auquel on appartient, soit simplement un individu. En tant qu'elle règle les relations de l'individu avec le groupe, la justice est dite « générale » ou « légale. » En tant qu'elle règle les rapports entre individus, elle porte le nom de « particulière. »

 

La justice générale ou légale (a. 5-6)

 

La justice générale a pour objet le bien commun du groupe, mais elle implique le respect de la dignité de chaque être humain, du fait que les droits des individus sont antérieurs à la société (cf. CEC 1930). Elle est appelée « générale » parce qu'elle ordonne les actes des autres vertus à l'ensemble de la communauté, et « légale » car « par elle, l'homme s'accorde avec la loi qui ordonne les actes de toutes les vertus au bien commun » (a. 5). Alors que les autres vertus morales rendent l'homme bon, la justice générale en fait un bon membre de la Cité, un bon citoyen.

 

Il faut revenir ici sur la distinction entre vertu de justice acquise et vertu de justice infuse, car c'est proprement à propos de la justice légale qu'elle intervient en raison de l'appartenance du chrétien, et à la cité terrestre, et à la Cité céleste, Corps mystique du Christ. La justice légale acquise, comme d'ailleurs la prudence politique qui lui correspond, dirige l'ensemble des vertus humaines pour les ordonner au bien commun de la cité terrestre qui est d'ordre naturel et temporel. La justice légale infuse, elle, ordonne les actes de toutes les vertus, même infuses, à un bien commun plus vaste que celui de la cité terrestre : « toute notre vie, même surnaturelle, telle qu'elle appartient à la communion des Saints[3]», bref, la Béatitude éternelle.

 

La justice particulière(a. 7-8)

 

En plus de la justice générale qui ordonne l'homme immédiatement au bien commun, il faut d’autres vertus qui l’ordonnent directement aux biens particuliers. Ces biens concernent soit la personne elle-même, soit une autre personne en lien avec elle. Tandis que la force et la tempérance ordonnent l'homme en lui-même, la justice particulière l’ordonne au sujet de ce qui appartient à d’autres personnes que lui. C'est à elle que pense S. Thomas quand il parle de la vertu cardinale de justice, puisque elle seule parmi les autres vertus peut revendiquer un domaine qui lui soit propre. On la divise en justice commutative et justice distributive (cf. IIa IIae, q. 61) :

 

  • La justice commutative : elle a pour objet les échanges mutuels de personne à personne. C'est une justice d'égal à égal, caractérisée par la réciprocité et qui est la plus fondamentale entre les hommes. Son acte propre est la restitution, c'est-à-dire la remise de quelqu'un en possession de son bien, soit qu'on le détienne avec ou sans son accord, soit qu'on l'ait détruit ou endommagé (cf. q. 62).

  • La justice distributive : elle consiste à rendre à chacun des membres de la communauté ce qui lui revient du bien commun. Ce type de justice concerne les rapports entre supérieur et inférieur, ce qui ne signifie pas qu'il est l'exact inverse de la justice légale, car si la partie se doit au tout (justice légale), le tout n'est pas dû entièrement à la partie. Son acte propre est donc la répartition ou distribution qui se fait proportionnellement au rang et au mérite de la personne dans la société.

 

De ces deux vertus, seule la justice distributive peut être attribuée à Dieu, selon le mot de S. Paul : « Qui lui a donné le premier, pour devoir être payé en retour ? » (Rm 11,25 ; Cf. Ia, q. 21, a. 1).

 

Conclusion

 

Au terme de notre analyse, nous pouvons comprendre pourquoi, après la vertu de prudence, celle de justice, « l'habitus par lequel on donne, d'une perpétuelle et constante volonté, à chacun son droit [jus] » (IIa IIae, q.58, a. 1), est la plus noble de toutes : en tant qu'elle ordonne et règle le comportement de l'homme à l'égard de la communauté, son excellence lui vient de son objet, le bien commun, qui l'emporte sur le bien particulier ; en tant qu'elle perfectionne l'homme en lui-même, rectifie l'agir à l'égard du prochain et siège dans l'appétit spirituelle qu'est la volonté, elle surpasse les vertus morales qui certes perfectionnent l'homme en sa personne mais ne résident que dans son appétit sensible. Avec le psalmiste, on peut vraiment dire que chez les hommes, comme auprès de Dieu : « En mémoire éternelle sera le juste », In memoria æterna erit justus (Ps 112 [111], 6).

 

Bibliographie

 

  • Catéchisme de l'Église catholique, n° 1807.

  • Ide P., Construire sa personnalité, Le Sarment Fayard, 1997.

  • Labourdette M., La justice, Cours de théologie morale 12, IIaIIae Qu. 57-79, Toulouse, 1960- 1961.

  • S. Thomas d'Aquin, Somme de Théologie, La justice, IIaIIae, Questions 57-58, éd. du Cerf, 1985.

[1] Sa doctrine sur ce point relève encore de l'opinion théologique. Le Catéchisme de l'Église catholique ne l'a ni ratifiée, ni infirmée.

[2] Labourdette M., La justice, Cours de théologie morale, IIaIIae Qu. 57-79, Toulouse, 1960- 1961, p 11.

[3] Ibid., p 46.