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LA CHARITÉ : QUEL TYPE D'AMOUR ?

 

Nous en arrivons maintenant à la charité, dont nous disions en introduction à cette conférence qu'elle nous évoque l'amour. Ici, une nouvelle distinction s'impose, selon que l'on entend la charité au sens commun, c'est-à-dire telle que la conçoit notre société actuelle, ou au sens chrétien, telle que la conçoivent ceux qui ont mis leur foi en Jésus-Christ.

 

La charité au sens commun

 

Après notre analyse des différents types d'amour, nous entrevoyons mieux ce qu'est la charité ainsi que la comprend le commun des hommes quand ils parlent de son exercice. Dans le langage de tous les jours, exercer la charité revient à faire du bien à autrui parce qu'on lui veut du bien. Selon cette compréhension, la charité s'identifie à l'amour de bienveillance, qui ne recherche pas nécessaire-ment la réciprocité, ni des compensations puisque, par définition, il est gratuit. La charité prise en ce sens consiste à vouloir le bien de l'autre pour lui-même, non pour ce qu'il nous apporte (argent, affection...). Elle incline naturellement vers ceux qui sont le plus dans le besoin pour leur venir en aide. De cette charité, procèdent nombre d'œuvres, justement dites “caritatives”.

 

Pour s'exercer avec intelligence, elle suppose néanmoins de connaître, d'une part ce qui convient à l'homme en général, les biens dont il a besoin en tant qu'être humain, et d'autre part ce qui convient actuellement à telle ou telle personne, les biens dont elle a besoin ici et maintenant. Concernant les biens dont l'être humain a besoin en tant que tel, dont il a besoin pour vivre, ils sont de trois ordres : matériel (habitacle, travail, argent...), corporel (nourriture, santé, affection...) et spirituel (éducation intellectuelle et morale...). Si, du point de vue de la dignité, les biens spirituels sont supérieurs aux biens corporels et matériels, et les biens corporels supérieurs aux biens matériels, du point de vue de la nécessité immédiate une personne peut avoir besoin de biens matériels et de biens corporels avant que de biens spirituels. Le proverbe qui dit « ventre affamé n'a point d'oreilles » est là pour nous le rappeler.

 

Cette charité humaniste est, reconnaissons-le, vraiment digne de louange. Aux yeux du chrétien, elle demeure toutefois imparfaite car, si elle repose sur la ressemblance entre les hommes, sur le fait que nous partageons tous la nature humaine, elle n'a pas une vision intégrale de l'être humain, elle ne se réfère pas suffisamment ou même pas du tout à son origine et à sa fin, que les traditions religieuses appellent Dieu et que Jésus-Christ nous a révélé comme le Dieu un en trois Personnes, communion d'amour, Charité par excellence.

 

La charité au sens chrétien

 

Deus caritas est, Dieu est charité, Dieu est amour. Vous reconnaissez en ces mots le titre de la première encyclique du Pape Benoît XVI tiré de la première lettre de S. Jean au chapitre 4 versets 8 et 16. Jusqu'ici, nous avons traité d'une charité que l'homme exerce pour l'homme, lui-même et autrui, en s'appuyant habituellement sur ses propres forces. La charité chrétienne, elle, puise son énergie, son dynamisme, en Dieu et se vit non seulement pour soi-même et pour les autres, mais avant tout pour Dieu. Cette charité a Dieu pour origine et pour fin. C'est pourquoi, comme nous allons le voir, elle n'est pas à proprement parler un amour de bienveillance, mais un amour d'amitié.

 

Suivant la Révélation que nous a faite Jésus-Christ, le premier, principal et parfait amour d'amitié se vit en Dieu-même entre le Père, le Fils et l'Esprit Saint dans un bonheur éternel et infini. Cette charité sans mesure qu'Il est lui-même, Dieu veut y faire participer les hommes et c'est la raison pour laquelle Il nous a créés. Quelles que soient les circonstances de la conception d'un être humain, Dieu, par amour, demeure fidèle à son dessein initial en infusant une âme dans le corps du nouvel être qui vient d'apparaître, parce qu'Il veut lui donner de prendre part à sa vie bienheureuse.

 

L'entrée en participation de la vie divine se réalise lors du sacrement de Baptême, nouvelle nais-sance selon la grâce, qui fait de l'homme un enfant de Dieu. Cette grâce, greffée sur l'âme, cause une surélévation de l'intelligence en l'ennoblissant par la vertu de foi, ainsi qu'une surélévation de la volonté en lui donnant les vertus d'espérance et de charité. Ainsi l'homme commence à connaître et à aimer Dieu tel que Dieu se connaît et s'aime, et tel qu'Il connaît et aime ses créatures. Ces trois vertus théologales sont fortifiées par le sacrement de Confirmation et surtout développées par celui de l'Eucharistie.

 

Dès lors, la charité chrétienne est avant tout un amour d'amitié entre Dieu et l'homme, où le premier se donne au second et lui donne de pouvoir lui rendre amour pour amour dans toutes ses activités qu'elles soient religieuses ou profanes. Le Catéchisme de l'Église catholique la définit comme « la vertu théologale par laquelle nous aimons Dieu par-dessus toute chose pour Lui-même, et notre prochain comme nous-même pour l'amour de Dieu » (CEC 1822). Son effet immédiat est donc l’union à Dieu (cf. Ia IIae, q. 65, a. 5 ; IIa IIae, q. 23, a. 2, ad 3) et, si nous aimons les hommes, jusqu'à nos ennemis, ce n’est qu’en référence à Celui auquel va notre amitié de charité. « L'amitié que nous avons pour un ami, écrit S. Thomas d'Aquin, peut être si grande qu'à cause de lui nous aimions ceux qui lui sont liés, même s'ils nous offensent ou nous haïssent. C'est de cette manière que notre amitié de charité s'étend même à nos ennemis : nous les aimons de charité, en référence à Dieu auquel va principalement notre amitié de charité » (IIa IIae, q. 23, a. 1, ad 2). Par la charité chrétienne que nous exerçons à leur égard, nous disons aux hommes qu'ils sont créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, et qu'ils sont appelés à la vie éternelle.

 

On le voit, il y a un ordre à l'intérieur de ce qu'il convient d'aimer de charité. Que Dieu doive être aimé plus que tout cela tient au fait qu'Il est le Principe même de la charité par lequel nous nous aimons et aimons le prochain. Quant à l'ordre de la charité entre nous et le prochain, il tient à l'ordre de la participation de chacun à la béatitude divine. Or, l'homme s'aime soi-même de charité parce qu'il participe à la béatitude, tandis qu'il aime son prochain en tant qu'il lui est associé dans cette participation. De là vient que l'amour de soi passe avant l'amour d'autrui. Mais à ne considérer que notre corps en tant qu'il participe à la béatitude seulement par rejaillissement, le salut du prochain est plus important que la vie de mon corps. En ce sens, je dois aimer mon prochain plus que mon propre corps ; bref, être prêt à donner ma vie pour lui.

 

Notons simplement pour conclure cette partie sur la nature de la charité chrétienne que si le commerce de la charité entre Dieu et l'homme demeurera toujours imparfait ici-bas, il atteindra sa perfection dans la gloire.