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LA SACRAMENTALITÉ DE L’ÉGLISE

INTRODUCTION

La constitution dogmatique Lumen gentium du deuxième concile du Vatican affirme que « l’Église est, dans le Christ, d’une certaine façon, veluti, un sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain.[1]» Selon la Commission Théologique du même concile, on appelle « sacrement » une réalité sacrée qui se manifeste par et dans une réalité profane. Or, la sacramentalité est une notion analogique qui prend sa source dans le Christ lui-même. C'est pourquoi, pour saisir la sacramentalité de l'Église, il faut partir de la sacramentalité du Christ qui en est le fondement. « L'Église est comme un sacrement dans le Christ », dit le concile.

Quand les Pères font du Christ le Sacrement par excellence, ils désignent d’abord l’Être très particulier qu’est le Christ. D'une part, son humanité (réalité profane) révèle sa divinité (réalité Sacrée), d’autre part, elle en est l’instrument. Ce que l’humanité du Christ annonce, elle le donne. Elle n’est pas cependant un simple instrument par lequel transiterait la grâce. Ce qu’elle transmet instrumentalement, c’est ce qu’elle est, ce qu’elle possède en plénitude. La sacramentalité du Christ est celle de sa sainte humanité, en tant que comblée de grâce (grâce personnelle du Christ) et communiquant cette grâce à tous les Hommes (grâce capitale).

Si le Christ sanctifie les Hommes par son action, c’est parce qu’il est absolument saint. C'est là une réelle différence entre la sacramentalité du Christ et les six sacrements autres que l’Eucharistie, Saint-Sacrement de par la présence substantielle du Christ sur l’autel. De même, l’Église est sainte dans le Christ « plein de grâce et de vérité », et elle est sanctificatrice dans le Christ, parce qu’elle lui est unie comme son Corps et son Épouse. Ainsi, la sacramentalité de l'Église se situe entre le Christ et les six sacrements autres que l'Eucharistie, qui lui engendre l'Église.

L’Église, « signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain », manifeste visiblement la plénitude de grâce dans le signe de la communauté sociale, formée des clercs et des laïcs, et communique, dans le prolongement de la sainte humanité du Christ, la réalité du salut par ces actes particuliers du Christ que sont les sept sacrements.

ECCLESIA DE EUCHARISTIA

Le Christ édifie son Corps mystique par son Corps eucharistique. L’unité de l'Église est la res tantum de l’Eucharistie. Si le baptême configure radicalement chaque personne au Christ, c’est l’Eucharistie qui fait de cette masse de baptisés une communauté, et parce qu'elle est placée sous le signe du pain et du vin obtenus à partir d’une multitude de grains de blé et de raisin, la Tradition s’est plu à voir dans ce symbolisme l’image même de l’Église.

Comme les six autres sacrements, l’Eucharistie peut être considérée selon trois aspects : le sacramentum tantum (signe seul), la res et sacramentum (réalité signifiante) et la res tantum (réalité seule). Dans son cas, le pain et le vin consacrés sont le sacramentum tantum. Ils signifient et contiennent en effet le Corps et le Sang du Christ. La res et sacramentum sont le Corps et Sang du Christ. Ils sont à la fois la réalité du Corps et du Sang du Christ, sa présence individuelle, et le signe de son Corps mystique qui lui est la res tantum, réalité ultime signifiée et non signifiante d’autre chose. Cette réalité ultime est la raison pour laquelle le Christ se rend sacramentellement présent. L’Eucharistie, non seulement, engendre la présence ecclésiale, mais bien plus, elle est l’Eglise.

Si l'on applique les trois catégories sus-mentionnées à l'Église, on peut affirmer que :

  • la res tantum ecclésiale correspond à la communauté formée de tous ceux qui vivent de la vie de la grâce et qui croient, espèrent et aiment Dieu. Cette communauté théologale invisibile de soi se rend visible par ses œuvres. L’Église contient, bien plus, est cette communauté de vie surnaturelle stable, permanente et constamment active.
  • la communauté théologale est présente dans un signe, le sacramentum tantum ecclésial, la communauté sociale. De même que la pain et le vin consacrés sont le signe du Corps et du Sang du Christ et le contiennent réellement, de même la communauté sociale est le signe de la communauté théologale, la contient et la conserve tant qu'elle dure comme signe. Cette communauté sociale est composée des clercs et laïcs. En tant qu'elle convie tous les Hommes à la rejoindre, elle n'est pas seulement signe mais encore moyen de salut. Ce qu’elle possède et qui la fait être ce qu’elle est, elle ne le possède que pour le communiquer. Il n’y a donc pas de dualité entre l’Église humaine, visible, et l’Église « divine », invisible, car la réalité de grâce est dans la réalité humaine qui en vit, la signifie et la communique activement. Toutefois, parce que tous les membres de l'Église ici-bas sont pécheurs, il n'y a pas parfaite adéquation entre le signe, la communauté sociale, et la réalité, la communion des saints.
  • La res et sacramentum ecclésiale permet de faire le lien entre la communauté sociale et la communauté théologale. Sans elle, en raison de l'inadéquation entre la communauté sociale et la communauté théologale, le dualisme ecclésial guette. Cette réalité intermédiaire est signifiée par la communauté sociale, elle lui emprunte toute sa visibilité, et en même temps fait que l'Église est vraiment le moyen et la réalité de vivre la vie théologale. Elle a donc à la fois une nature sociale et une dimension de grâce.

NOTES ET DÉFINITION DE LA RES ET SACRAMENTUM ECCLÉSIALE

Avant de définir la res et sacramentum ecclésiale, il convient d'en donner les cinq notes caractéristiques :

  1. Elle n'est perceptible que dans la foi.

  2. Elle est une réalité communautaire qui cependant réside en chacun de ses membres.

  3. N'étant pas la réalité ultime de grâce, elle n’exige pas, pour son existence, la présence actuelle de la vie théologale dans ses sujets. Mais, elle doit y conduire et donc contenir ce qu’elle atteste.

  4. Au plan des personnes elle est une grâce commune à tous : les caractères imprimés par le baptême, la confirmation et l’ordre.

  5. Elle doit se manifester dans des actes communautaires. Tandis qu’au plan individuel, la sainteté peut faire défaut, mais non le caractère, au plan communautaire, la présence de la grâce sanctifiante est assurée : la communauté possède de façon inamissible les dons du Christ pour les communiquer par l’activité de ses membres.

Nous sommes maintenant à même de définir cette res et sacramentum ecclésiale. Elle est une manifestation communautaire par laquelle le mystère du salut est attesté avec une vérité infaillible et par laquelle la charité du Christ est communiquée avec certitude. On peut lui donner le nom de « communauté diaconale. » Concrètement, elle recouvre le domaine des réalités saintes et sanctifiantes, les sancta, que sont la prédication de l’Évangile et la célébration des sacrements, alors que la res tantum est celui des sancti, des personnes effectivement sanctifiées. En tant que signe, les sancta permettent, dans la foi, de désigner avec certitude la communauté de salut, indépendamment de la dignité de chacun des membres. En tant que réalité, ils sont ce qui permet aux pécheurs de venir ou de revenir à la pureté baptismale et de grandir en elle.

Cette constance dans la vraie foi et la sécurité ininterrompue des vrais sacrements est un don de l’Esprit fait à la communauté comme telle. Toute personne individuelle peut se tromper, mais la communauté comme telle, non. C’est elle en effet qui a reçu la promesse du Christ : les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur elle.

CONCLUSION

La sacramentalité ecclésiale tient en trois éléments pleinement constitutifs de l'Église :

  • La communauté théologale comme réalité de grâce (res tantum).
  • La communauté diaconale comme réalité et signe (res et sacramentum). Elle est une grâce gratis data qui ne dépend pas de la sainteté des membres de la communauté, mais qui en assure la permanence sanctificatrice.
  • La communauté sociologique comme signe seulement (sacramentum tantum).

Ce sont là trois facettes d’une seule et même communauté. Il n’y a pas et ne peut y avoir de dualité entre la communion intérieure de grâce et la communauté sociale extérieure, car elles sont reliées par la communauté diaconale. Par conséquent, l’appartenance à l’Église n’est pas statique, mais dynamique. Je suis membre de l’Église car je suis en tendance vers la pleine communion théologale en participant quotidiennement à la vie diaconale qui me relève si j’ai péché et me fait avancer plus en avant si je n’ai pas péché.

BIBLIOGRAPHIE

  • Jean-Paul II, Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003.
  • Schillebeeckx E., Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, Paris, 1997.
  • Soujeole de la B.-D., :
    • Le sacrement de la communion, Paris, 1998, p. 246-271.
    • Cours d'ecclésiologie, Fribourg, 2006.

[1] I § 1.