COMMENTAIRE DU PSAUME 72

 

 

Introduction

 

Ce psaume achève le deuxième livre et le second recueil davidique du Psautier (Ps 51-72) qui a rappelé diverses circonstances de la vie de David : son union adultérine avec Betsabée (Ps 51, 2), sa fuite devant Saül (Ps 52, 2 ; 54, 2 ; 57, 1 ; 59, 1), ses démêlés avec les Philistins (Ps 56, 1), ses guerres contre les araméens (Ps 60, 2) et son séjour au désert de Juda (Ps 63, 2). Il fait suite au psaume 71 qui montre David devenu vieux, et, de ce fait, apparaît comme une prière d'intercession à l'intention de Salomon qui va lui succéder sur le trône. Celui-ci devient ici le roi idéal, le modèle du Messie.

 

Le psaume 72 se divise en deux grandes parties : 1) v. 1-11 : la prière d'intercession proprement dite en faveur de Salomon ; 2) v. 12-17 : l'annonce de l'action bienfaisante du roi et en sa faveur, et les conséquences pour la terre. Les v. 18-19 servent de doxologie finale au deuxième livre du Psautier. Quant au v. 20, unique dans le Psautier, il conclut les psaumes davidiques de ce deuxième recueil.

 

Commentaire

 

1 Pour Salomon.

 

En traduisant l'hébreu lishelomoh par Salominis et faisant ainsi de ce psaume un psaume de Salomon, la Néo-vulgate se trompe. En effet, son attribution à David est attestée par le colophon du deuxième livre du Psautier qui précise : « Ci-finissent les prières de David, fils de Jessé » (Ps 72, 20). Le lamed de lishelomoh n'est pas un lamed auctoris. Il signifie ici « à propos de », « pour » Salomon. C'est ainsi que la LXX l'a compris : « Pour Salomon ». Le psaume 72 est donc un psaume de David pour Salomon[1].

 

Dieu, donne ton jugement au roi
et ta justice au fils du roi ;
2 Qu'il juge ton peuple avec justice
et tes pauvres avec jugement.

 

« Justice » est l'un des maître-mots du psaume. David demande à Dieu de la donner au roi à venir (v. 1) pour qu'il la fasse régner sur la terre (v. 2-3) et qu'ainsi elle fleurisse (v. 7). Elle consistera principalement à faire droit aux pauvres (v. 2.4.12-14) en les délivrant de leurs oppresseurs. Salomon lui-même, d'après 1 R 3, 5-15 et 10, 9, demandera d'exercer convenablement la justice, et il sera montré aussitôt comme un juge vraiment avisé à propos de deux prostituées qui se disent toutes deux mère du même enfant (1 R 3, 16-28).

 

Ici le « roi » et le « fils de roi » désigne la même personne : Salomon, fils de David. Son jugement concernera en premier lieu le peuple d'Israël, considéré comme pauvre. « Les législations des civilisations du Proche-Orient ancien supposent que le roi doit être le protecteur des pauvres »[2]. Il aura à défendre sa cause.

 

3 Que les montagnes apportent la paix au peuple,
et les collines la justice.
4 Qu'il juge les pauvres du peuple
et sauve les fils du pauvre ;
et qu'il humilie le calomniateur.

 

La paix, qui se dit shâlôm en hébreu et a le sens de “prospérité” sera la conséquence de la justice rendue droitement par le roi. Ici et au v. 7, elle évoque probablement le nom du fils de David : Salomon, Shelomoh. Ce nom (cf. v. 17) contient sa mission, celle d'apporter la paix. Les premiers livres des Rois et des Chroniques notent que, de fait, il l'établira selon la promesse faite par le Seigneur à David (1 R 5, 4-5 ;1 Chr 22, 9). Le roi exercera la justice en libérant le pauvre et en châtiant celui qui l'oppresse. Le verbe ٔshq, traduit par calomniateur, recouvre tout abus de pouvoir ou d'autorité envers le prochain, abus que la Loi interdit (Lv 19, 13 ; Dt 24, 14). En humiliant l'oppresseur, le roi agira à la manière de Dieu lui-même (Ps 103, 6 ; 105, 14 ; 119, 121-122 ; 146, 7).

 

5 Et qu'il demeure aussi longtemps que le soleil et la lune
de génération en génération.
6 Qu'il descende comme la pluie sur le regain,
et comme l'ondée irrigant la terre.

 

Avec emphase « aussi longtemps que le soleil et la lune », symboles d'éternité ; « de génération en génération » , David prie pour que le règne de son fils soit très long. De fait, le règne de Salomon dura 40 ans comme le rapporte 1 R 11, 42. Le prophète Nâtân n'avait-il pas dit à David de la part du Seigneur que son trône serait affermi pour toujours (2 S 7, 13).

 

Le roi est souhaité aussi bienfaisant que la pluie qui aide à la fécondité du sol. Le mot gêz, traduit ici par regain est un mot rare (seulement 3 autres occurrences : Dt 18, 4 ; Am 7, 1 ; Jb 31, 20). Il désigne un pré dont on a coupé l'herbe. La pluie immédiatement sur l'herbe fauchée assure le regain et donc la continuité de la vie. Le roi apportera lui aussi la vie en abondance.

 

7 En ses jours, que la justice fleurisse
et la paix en abondance, jusqu'à ce que la lune ne soit plus.
8 Et qu'il domine de la mer à la mer,
et du fleuve jusqu'aux extrémités de la terre.

 

La métaphore végétale du verset précédent se prolonge ici : la justice, telle une plante, fleurira, et la paix, tels les produits de la terre, abondera « jusqu'à ce que la lune ne soit plus », c'est-à-dire à jamais. Le roi imitera donc l'activité même de Dieu qui est la source de la justice, de la paix et de la fécondité (Nb 6, 24-26).

 

Les limites du royaume prédites au v. 8 rappellent quelque peu celles sur lesquelles Salomon régnera (1 R 5, 4). En Za 9, 10 et Si 44, 21, l'on retrouve la même expression appliquée respectivement au royaume du Messie et à l'héritage promis à la descendance d'Abraham. « De la mer à la mer » signifie peut-être du golfe Persique à la mer Rouge. Quant au « fleuve », il s'agit probablement de l'Euphrate (cf. Gn 15, 18 ; Ps 89, 26). « Les extrémités de la terre » semblent vouloir suggérer l'universalité de la domination... (cf. Mt 28, 18-19).

 

9 Que devant lui viennent en procession les habitants du désert,
et que ses ennemis lèchent la poussière.
10 Que les rois de Tarsis et les îles lui offrent des présents ;
que les rois de l'Arabie et de Saba lui fassent des dons ;
11 que se prosternent devant lui tous les rois,
et que toutes les nations le servent.

 

La Néo-vulgate a traduit le terme hébreu siyyîm par incolae deserti [les habitants du désert] ce qui est une traduction approximative. Siyyîm désigne en fait soit des navires, soit des bêtes sauvages, soit des démons dont on pensait traditionnellement qu'ils résidaient dans les déserts (Mt 12, 43 ; Lc 11, 24). Les évangiles ne manqueront pas de montrer les possédés se prosterner devant Jésus (Mc 3, 11: « Les esprits impurs, lorsqu'ils le voyaient, se jetaient à ses pieds et criaient en disant : “Tu es le Fils de Dieu !” », celui qui est plus que Salomon (Mt 12, 42 ; Lc 11, 31). « Lécher la poussière » est une humiliation, un signe de soumission (Is 49, 23 ; Mi 7, 17).

 

Les offrandes des rois de Tarsis une région de l'Andalousie ? Le bout du monde ? évoquent la flotte de Tarsis apportant des richesses à Salomon (1 R 10, 22) et les présents dont il était comblé (1 R 10, 25). « Les îles » sont celles situées à l'ouest de la Méditerranée, elles représentent ce qui est le plus lointain. Leurs offrandes sont un nouveau signe de soumission. Les cadeaux des rois d'Arabie et de Saba font allusion à ceux de la reine de Saba (1 R 10, 2.10.15) et des autres rois (1 R 5, 1 ; 10, 11.15.22.25). Le v. 11 dit clairement que tous les habitants du monde seront soumis au roi.

 

12 Parce qu'il libérera le malheureux qui crie
et le pauvre qui est sans soutien.
13 Il aura souci du pauvre et du malheureux
et sauvera la vie des pauvres.
14 De l'oppression et de la violence, il rachètera leur vie,
et leur sang sera précieux devant lui.

 

Ici commence la seconde partie du psaume qui annonce l'action bienfaisante du roi et en sa faveur, et les conséquences pour la terre. La prospérité de ce règne tiendra à l'action du roi en faveur des pauvres, ceux qui n'ont pas d'aide (v. 12). En sauvant et en libérant, le roi accomplit des actes qui sont d'abord des actes divins comme le montrent nombre de passages bibliques. L'expression avoir souci traduit l'hébreu hws qui est un hapax du livre des psaumes. Il signifie “regarder avec pitié” et “épargner quelqu'un” qui se trouve dans une situation difficile. Là encore, Dieu se trouve par ailleurs sujet de ce verbe (Ez 16, 5 ; Is 60, 10). En précisant que le roi « rachètera », g'l, la vie des pauvres (v. 14), le psalmiste laisse entendre qu'une sorte de lien de parenté le rattachera à eux. Le goel en effet était tenu à racheter son parent devenu esclave (Lv 25, 47-49) et surtout à venger son sang s'il venait à être tuer (Nb 35, 19), d'où la mention du sang qui est précieux aux yeux du roi.

 

15 Qu'il vive et que lui soit donné l'or de l'Arabie,
et que l'on prie sans cesse pour lui ; tout le jour qu'on le bénisse.

 

Longue vie, richesse et bénédiction sont souhaitées au roi. Le que lui soit donné rappelle le donne du v. 1. Tout ce qui sera accordé au roi ne sera en définitive qu'un don de Dieu, comme l'enseigne directement le TM et comme le suggère la tournure passive des LXX. L'or de l'Arabie rappelle celui apporté par la reine de Saba (1 R 10, 10).

 

16 Et il y aura exubérance de froment sur la terre,
il coulera aux sommets des montagnes,
son fruit sera comme le Liban ;
et la population fleurira comme l'herbe.

 

L'annonce de la prospérité le froment même aux sommets des montagnes ! et de l'accroissement de la population se réaliseront sous le règne de Salomon, comme le note 1 R 4, 20. Le mot exubérance, pissâh, est un hapax

 

17 Que son nom soit béni dans les siècles,
que son nom demeure devant le soleil.
Et qu'en lui soient bénies toutes les tribus de la terre.
Que le magnifient toutes les nations.

 

La bénédiction et la béatitude adressée au roi reprennent celles de 1 R 10, 8-9. La première comporte une allusion à la promesse faite à Abraham (Gn 12, 2-3 ; 22, 18 ; 26, 4 ; 28, 14 ; Jr 4, 2 ; Si 44, 21), promesse accomplie par la dynastie de David (Ps 47, 10 ; 105, 6.9.42).

 

18 Béni soit le Seigneur Dieu, Dieu d'Israël,
qui seul fait des merveilles.
19 Que soit béni à jamais le nom de sa Majesté,
et que sa Majesté remplisse toute la terre.
Amen. Amen.

 

Cette bénédiction qui conclue le deuxième livre des psaumes reprend le vocabulaire des v. 16-17 (bénir, nom, pour toujours, terre). Il y a une mystérieuse affinité entre Dieu et le Roi Messie... Celui-ci fera des merveilles parce que Dieu, qui « seul fait des merveilles », sera avec lui. Le double amen vient renforcer ce qui vient d'être dit.

 

20 Ci-finissent les prières de David, fils de Jessé.

 

« Ce colophon, absent de quelques manuscrits hébreux, date probablement d'un époque où cette collection de psaumes de David n'était plus suivie d'autres psaumes davidiques »[3].

 

Conclusion

 

Prière supposée ou réelle adressée par David au Seigneur pour son fils Salomon, le psaume 72, qui conclut le deuxième livre du Psautier, trace aussi le portrait et l'action du roi futur tant attendu, du Messie, dont Salomon constitue la préfiguration. Il contient l'espérance d'un salut définitif. Ce n'est évidemment pas un hasard si le premier livre du Nouveau Testament s'ouvre par « Livre de la genèse de Jésus Christ [= Messie], fils de David » (Mt 1, 1). Au jour de l'annonciation, l'ange Gabriel reliera Jésus à la lignée royale de David en assurant que « son règne n'aura pas de fin » (Lc 1, 32-33). Lors de la naissance du Christ à Bethléem, les anges chanteront l'avènement de la paix pour les hommes (Lc 2, 14). Au commencement de sa vie publique, Nathanaël confessera Jésus comme « roi d'Israël » (Jn 1, 49). Par la suite, les pauvres supplieront celui-ci en l'appelant « fils de David » (Mt 9, 27 ; 15, 22 ; 20, 30-31 ; 21, 9.15 ; Mc 10, 47-48 ; Lc 18, 38-39) et lui les délivrera de leurs maux. À sa dernière entrée dans Jérusalem, les foules l'acclameront comme le roi qui apporte la paix (Lc 19, 38 ; Jn 12, 12-15). Avant de mourir, il fera à ses disciples le don de la paix (Jn 14, 27). Devant Pilate, il reconnaîtra être roi, mais d'un autre monde (Jn 18, 33-37). Enfin, revenu de la mort, il saluera les siens en leur disant : « La paix soit avec vous » (Lc 24, 36 ; Jn 20, 19.21.26).


[1] S. Justin († 150), dans son dialogue avec le juif Tryphon écrit à propos de ce psaume : « Vous dites qu'il se rapporte à Salomon... », Dial. 34.

[2] Vesco J.-L., Le psautier de David, Lectio divina 210, I, Cerf, 2006, p. 634.

[3] Ibid., p. 638.