Créer un site internet

LA SIMPLICITÉ DE DIEU, L'IMMUTABILITÉ DE DIEU
ET LE DÉBAT THÉOLOGIQUE SUR LA SOUFFRANCE DE DIEU

INTRODUCTION

Les notions de simplicité et d'immutabilité divines, accessibles de soi à la raison philosophique, ont des implications en christologie et en théologie trinitaire. Fondées dans l'Écriture, développées par les Pères de l'Église et enseignées par le Magistère ecclésial, elles sont pourtant aujourd’hui remises en question par divers théologiens enclin à parler d'une souffrance du Dieu trois fois saint.

LA SIMPLICITÉ DE DIEU

Dire de Dieu qu'il est simple, c'est affirmer qu'il n'y a en lui aucune composition à la différence des créatures. Dieu n'est pas composé de matière et de forme car il n'est pas un corps, mais Esprit (Cf. Jn 4,24). Étant son essence même – il est la vie (Cf. Jn 14,6), le bon (Cf. Mt 19,17)... – il n'est pas non plus composé de nature et de sujet. Bien plus, il est son existence même, l’Ipsum esse subsistens, l’être même subsistant (« je suis celui qui suis » Ex 3,14).

Les Pères, face à nombre de doctrines philosophiques et religieuses niant toute existence à ce qui n'avait pas de corps, se sont surtout attachés à montrer l'incorporéité de Dieu pour défendre son incorruptibilité et sa simplicité. Saint Hilaire écrivait : « Dieu n’est pas fait de composantes à la manière humaine de sorte qu’en lui autre chose serait ce qu’il a, autre chose celui qui l’a » (De Trinitate, VIII, 43) ; et saint Augustin : « [La nature divine] est appelée simple, parce qu’elle est ce qu’elle a » (De Civitate Dei, XI, x, 2). En Orient, saint Jean Damascène lie simplicité divine, incorporéité et immutabilité (De fide orthodoxa, I, 4).

En 1215, le concile de Latran IV, dans la Constitution Firmiter confesse un Dieu en trois personnes mais en « une seule essence, substance ou nature absolument simple » (Dz 800).

Saint Thomas d'Aquin synthétise de manière spéculative tout ce donné scripturaire, patristique et magistériel dans la Ia Pars de sa Somme de théologie à la question 3 et montre la simplicité de Dieu de diverses manières : « Tout composé est postérieur à ses composants et dans leur dépendance; or, Dieu est l'être premier » ; « Tout composé a une cause [...] Or, Dieu n'a pas de cause, étant première cause efficiente. » ; « Dans tout composé il faut qu'il y ait puissance et acte », or Dieu est l'Acte pur[1].

L'IMMUTABILITÉ DIVINE

Tout comme sa simplicité, l'immutabilité de Dieu n'est pas une imperfection, mais un excès de perfection. L’Écriture sainte la mentionne à plusieurs reprises : « Depuis longtemps tu as fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes mains. Eux périront, toi tu subsistes. Tous comme un vêtement ils s'useront, comme un habit qu'on change, tu les changes ; mais toi, le même, sans fin sont tes années. » (Ps 102,26-28) ; « Nombreux sont les projets au cœur de l'homme, mais le dessein du Seigneur, lui, reste ferme. » (Pr 19,21) ; « Je suis Dieu et je ne change pas. » (Ml 3,6) ; « Tout don excellent, toute donation parfaite vient d'en haut et descend du Père des lumières, chez qui n'existe aucun changement, ni l'ombre d'une variation. » (Jc 1,17).

Face aux hérésies christologiques – ariennes principalement – de l'antiquité chrétienne, qui enseignaient un devenir et une altération du Fils de Dieu en raison de l'Incarnation, le Magistère de l'Église va réagir par des définitions dogmatiques et défendre l'intégrité de la vraie foi en l'immutabilité divine. Ainsi, le concile de Nicée (325) anathématisa l’opinion selon laquelle le Fils de Dieu est « susceptible de changement ou d’altération » (Dz 126). Les Pères conciliaires distinguèrent entre l’immutabilité du Christ inhérente à sa nature divine, comme Verbe du Père, et les faiblesses, altérations, passions liées à sa nature humaine. Les conciles suivants reprirent cette doctrine. Celui d'Éphèse (431) enseigna que le Verbe est, en sa divinité, « incorruptible » par nature puisque la divinité est impassible. Le concile de Chalcédoine (451) repoussa l’opinion monophysite conduisant à soutenir que « la nature divine du Fils unique est passible. » Le deuxième concile de Constantinople (553), accepta la formule des moines scythes : « l’Un de la Trinité a souffert », mais expliqua que l’union de la nature humaine et de la nature divine dans le Christ se fait au plan de l’hypostase, de telle sorte que les propriétés de chaque nature demeurent sans confusion. Les controverses autour du « théopaschisme » permirent donc de préciser que la naissance, la passion, la mort du Christ ne peuvent être attribuées à la nature divine, mais seulement à la personne du Verbe. Le Fils de Dieu a bien souffert, mais il a souffert dans la chair hypostatiquement assumée, c’est-à-dire dans son humanité. Au terme de l'âge patristique, saint Jean Damascène écrira : « Il ne faut pas ignorer que nous disons que Dieu a souffert par la chair, mais jamais que la divinité a souffert par la chair ou que Dieu a souffert à travers la chair.[2]»

Plus récemment, les conciles de Latran IV (1215) et de Vatican I (1870) ont réaffirmé l'attribut divin d'immutabilité face aux risques de panthéisme, au début de la Constitution Firmiter pour le premier : Deus [...] incommutabilis, (Dz 800) ; dans la Constitution Dei Filius pour le second : « un seul Dieu vrai et vivant [...] absolument simple et immuable » (Dz 3001). Cette doctrine traditionnelle préserve la consubstantialité divine des trois personnes jusque dans l’Incarnation et la Passion du Fils et souligne la totale gratuité de la geste créatrice et salvatrice de Dieu.

LE DÉBAT THÉOLOGIQUE SUR LA « SOUFFRANCE DE DIEU »

Contestations et objections

La doctrine de l'immutabilité divine, si constamment enseignée tout au long de l'histoire de l'Église, se trouve néanmoins critiquée, voire rejetée, aujourd’hui par certains théologiens. On lui reproche :

  1. une assimilation insuffisamment critique des concepts païens de Dieu véhiculés par la philosophie platonicienne et aristotélicienne, et négligeant ce que la Bible dit du Dieu vivant en des passages qui s’opposent radicalement à ceux qui mentionnent son absence de changement. Ne lit-on pas en Jc 4,8 : « Approchez-vous de Dieu et il s'approchera de vous. » ; en Job 16,9 : « sa colère déchire et me poursuit… » ; au Psaume 18,9 : « Il inclina les cieux et descendit, une sombre nuée sous ses pieds ; il chevaucha un chérubin et vola, il plana sur les ailes du vent » ?

  2. un manque de prise en compte de la relation amicale et amoureuse entre Dieu et sa créature humaine. L'immutabilité divine serait synonyme d'indifférence envers l'Homme ou d'incapacité relationnelle.

  3. une interprétation trop restreinte de la souffrance éprouvée sur la Croix par le Verbe en raison de sa nature humaine. Le drame de la kénose se jouerait au niveau des relations trinitaires elles-mêmes et impliquerait en outre une souffrance et du Père et de l'Esprit (cf. entre autres des auteurs comme J. Galot, H.-U. von Balthasar, J. Moltmann).

Réponses aux objections

  1. À propos des citations bibliques qui attribuent des passions ou des mouvements à Dieu, les prendre au sens strict reviendrait à contredire la raison. Or, la foi et la raison ne peuvent être en désaccord. En effet, « Quand une interprétation non nécessaire de l’Écriture aboutirait à un blasphème, l’analogie de la foi l’empêche de l’adopter[3]. » Dieu ne peut éprouver de passions car il est incorporel. Il faut donc affirmer que ce sont là des métaphores. Elles expriment non pas un changement en Dieu, mais dans les créatures, et traduisent les effets créés d’une volonté incréée.

  2. La deuxième objection s'en prend en définitive à la doctrine thomasienne des relations entre Dieu et ses créatures qui cherche à préserver la totale transcendance du Créateur. Saint Thomas écrit : « La relation à la créature, en Dieu, n’est pas réelle mais seulement de raison, tandis que la relation de la créature à Dieu est une relation réelle.[4]» Cette doctrine bien comprise ne signifie pas que Dieu soit indifférent à sa création, simplement qu'il agit et ne ré-agit pas. La relation réelle dans la créature suppose l'opération créatrice et rédemptrice de Dieu. La vie de ses créatures importe si bien à Dieu qu'Il la prévient. La prière, par exemple, n'a pas pour but de fléchir Dieu, mais elle est toujours une réponse à son initiative.

  3. La réponse de Dieu face à la souffrance des Hommes ne consiste pas à introduire cette souffrance dans l’être divin, mais elle consiste dans l’Incarnation et dans la Pâque du Fils. Ce qui nous sauve, ce n’est pas une souffrance du Père en sa divinité, c’est l’amour humain du Christ pour son Père et pour tous les Hommes, c’est l’union d’amour du Christ à son Père sur la Croix, union d’amour qui est l’expression humaine de l’amour immuable de Dieu.

CONCLUSION

L'immutabilité divine est une conséquence de sa simplicité. Elle est un attribut exclusif de Dieu qui nous échappe parce que rien ne lui est analogue dans la création. C'est une immutabilité par excès et non par défaut qui n'a rien à voir avec « la dureté d'un roc qui résisterait au changement.[5]» Dieu étant Acte pur, il n'agit pas pour acquérir quelque chose qui lui manquerait, mais pour communiquer sa bonté. Son impassibilité ne signifie pas incapacité d’aimer. L’amour et la joie lui sont attribuées non comme des passions mais comme étant des opérations spirituelles.

BIBLIOGRAPHIE

  • Emery G., « L’immutabilité du Dieu d’amour et les problèmes du discours sur la souffrance de Dieu », Nova et Vetera 74, 1 (1999) p. 5-37.
  • Margerie de B., Les perfections du Dieu de Jésus-Christ, Cerf, 1981.
  • Nicolas J.-H., « Aimante et bienheureuse Trinité », RT 78 (1978) p. 271-292.
  • St. Thomas, Somme de théologie, Ia, q. 3 et 9.

[1] Cf. a. 7.

[2] La foi orthodoxe, trad. et notes par E. Ponsoye, 2e éd., Paris, 1992, p. 194.

[3] Margerie de B., Les perfections du Dieu de Jésus-Christ, Cerf, 1981, p. 223, note 14.

[4] Somme de théologie, Ia, Q. 45, art. 3, ad 1.

[5] EMERY G., « L’immutabilité du Dieu d’amour et les problèmes du discours sur la souffrance de Dieu », Nova et Vetera 74, 1 (1999) p. 29.