LA PERSONNE DU PÈRE : RÉFLEXION DE SYNTHÈSE

Le Père est l'ultime source de tout

(Encyclique Laudato si, 24 mai 2015, n° 238, Pape François)

INTRODUCTION

En réponse à l’arianisme, les Pères Cappadociens et saint Augustin ont rappelé que le nom « père » doit passer, à travers l’analogie, par un travail de purification afin d’être appliqué à Dieu. Se dégagent alors deux propriétés caractéristiques de la première Personne de la Trinité :

  1. La paternité : le Père est la source de qui le Fils se reçoit éternellement.
     
  2. L'innascibilité : le Père n'a pas d'origine, il est inengendré, sans principe.
     

Ces deux traits constituent l’essentiel de ce que la doctrine trinitaire met sous le mot Père.

LA PATERNITÉ EN ET DE DIEU

Dieu le Père

La paternité est la relation paternelle par laquelle le Père est Père du Fils. Cette relation est même celle par laquelle le Père est tout court. Autrement dit, le Père est cette paternité en Personne. Réfléchir sur la paternité, c’est donc chercher à comprendre qui est le Père.

Le mot « Père » est riche de toute la relation de celui qui est la source envers celui qui est issu de lui. Ce qu’est la paternité de Dieu nous est connu par la relation de Jésus avec celui qu’il appelle son Père dans une relation unique. Cette relation comporte trois notes :

  1. Une note d’affectivité dans la relation d’amour et d’abandon : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mt 3,17), « Le Père aime le Fils » (Jn 3,35 ; 5,20).
     
  2. Une note d’intelligence : Jésus connaît son Père et c’est pourquoi il le révèle et le glorifie. « Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils » (Mt 11,27).
     
  3. Une note ontologique : Jésus provient du Père et il retourne au Père. Il existe comme relation à son Père. « Sachant qu’il était sorti de Dieu et qu’il allait vers Dieu » (Jn 13,1).
     

La paternité de Dieu n’est ni corporelle ni sexuée, puisque Dieu est esprit (cf. Jn 4,24). De plus, c'est une paternité qui n'exclut pas des traits maternels comme nous l'enseigne la Bible (cf. Is 66,13). Dieu n’est pas Père à la façon des hommes et la théologie chrétienne doit garantir que le mot « Père » reste un nom propre pour parler de Dieu et même le nom le plus propre.

Dieu le Père du Fils et notre Père

La théologie trinitaire conduit à préciser que lorsque nous nommons Dieu « Père », nous pouvons le faire de trois façons :

  1. Le mot « Père » exprime d’abord la relation éternelle du Père à son Fils unique. C’est le premier analogué. La paternité du Père existe sur un mode plus éminent dans sa relation au Fils que dans sa relation envers nous. A son Fils Unique, le Père donne tout son être, tout son amour, dans l’unité de substance divine et dans une réciprocité absolue. Il appartient donc à la notion même de Père de communiquer sa vie. Dieu est Père d’une façon plus haute à l’égard de son Fils Unique qu’à notre égard. Le Christ est Fils par essence, alors que nous sommes fils par participation.
     
  2. Sous le mot « Père », l'on peut mettre aussi la vie de la foi et de la grâce, c’est-à-dire notre relation théologale avec Dieu. Le nom de « Père » signifie alors Dieu en relation avec nous dans la vie théologale. C’est ainsi que nous prions le Notre Père et que nous nommons le Père dans les doxologies. Nous mettons alors, sous le mot « Père », le Père de Jésus-Christ dans la relation qu’il entretient avec nous. Mais si nous appelons Dieu « Notre Père », c’est seulement parce que nous entrons, par le Fils et sa grâce, dans la relation éternelle entre le Père et le Fils.
     
  3. Enfin, le mot « Père » peut désigner le Créateur et Provident, le Père dans sa relation au monde et aux Hommes. Dans ce cas, le procédé est légitime mais imparfait car il faudrait mettre ici toute la Trinité sous le mot « Père. » La Trinité est appelée « Père » en raison de son activité créatrice et salvifique envers les Hommes. Si ce troisième sens est incomplet puisqu’on n’y considère que la relation de Dieu à ses créatures et non pas la périchorèse, il ne doit pas cependant être rejeté. En effet, c’est là que nous pouvons comprendre que d’autres religions qui ne confessent pas la Trinité appellent Dieu « Père », en tant que source et origine du monde et de la vie. Selon la doctrine des appropriations, il est possible d'attribuer ce troisième sens à la première Personne de la Trinité car l’être créateur et provident a une affinité particulière avec la Personne du Père principe fontal de la Trinité.
     

Le Père apparaît toujours comme la source ad intra et ad extra. Il est le Père du Fils et a l’initiative de la création et du salut. Il nous rejoint par le Fils et par l’Esprit. Et c’est là l’aspect mystérieux du Père. En effet, Si, dans la Trinité Immanente, il apparaît comme le principe, par rapport aux Hommes, il apparaît au terme de l’accès à la vie Trinitaire, puisque c’est par le Fils et dans l’Esprit que nous avons accès au Père. Tout vient du Père et tout retourne au Père.

D'après ces explications, l'on comprend pourquoi il est possible de parler des traits maternels de Dieu, mais pas de Dieu-Mère. Dans le nom « Père », il faut d’abord entendre la relation du Père à la personne du Christ. Or, le Christ s’adresse à Dieu en le nommant « Abba. » De plus, le Christ a une mère en la personne de Marie. Le terme « mère » désigne donc pour lui la relation à la source de son humanité, alors que le mot « Père » désigne la relation originelle du Fils Unique. En sa divinité, le Christ n’a pour principe que le Père, lequel recouvre éminemment les traits paternels et maternels. Parler de Dieu comme mère, c’est donc parler selon le troisième sens, celui qui englobe toute la Trinité, et oublier que nous sommes fils dans le Fils.

La paternité du Père envers son Fils est la source et le modèle de toute paternité ou maternité humaine (Ep 3,14-15). Se communiquer par amour dans l’acte de donner la vie, c’est participer de l’acte par lequel le Père engendre le Fils de toute éternité. Il en va ainsi de tout don puisqu'il renvoie au don originel que le Père fait de lui-même à son Fils. Le mystère du Père, c’est le mystère de la donation. De toute éternité, le Père communique la plénitude de sa Vie Divine à son Fils. Mais il communique également, à un autre plan, une participation de sa Vie Divine à ses créatures. C’est la création comme don de l’être, mais aussi le salut, la grâce, la divinisation. La génération éternelle du Fils en est leur fondement. Autrement dit, l’échange intra trinitaire dont le Père est la source est la racine et le motif de l’agir de Dieu dans le monde. Le mystère de la paternité personnelle du Père est la lumière qui éclaire tout l’agir de Dieu.

L'INNASCIBILITÉ DE DIEU LE PÈRE

Le Père est inengendré, c’est là sa seconde propriété après la paternité. Derrière cette propriété négative, qui est négation d'une origine, se cache un aspect positif : le Père est la source qui n’a pas de source, la divinité fontale, le principe sans principe. L'innascibilité vient ainsi corriger une conception trop anthropomorphique du Père. Le Père en Dieu, contrairement aux pères humains, ne transmet pas ce qu’il a reçu.

Voici ce qu'écrit saint Thomas d'Aquin : « De même que dans les créatures on distingue ''premier principe'' et ''second principe'', ainsi dans les Personnes divines, ou il n'y a ni avant ni après, on distingue un ''Principe qui n'a pas de principe'' : c'est le Père; et un ''Principe qui a un principe'' : c'est le Fils. Or, dans les créatures, un principe premier se reconnaît à un double caractère; l'un qui l'affecte en tant qu'il est principe, consiste en ce qu'il a une relation à ce qui procède de lui ; l'autre, qui lui appartient en tant qu'il est premier principe, consiste en ce que lui-même ne provient pas d'un principe antérieur. De même en Dieu: par rapport aux Personnes qui procèdent de lui, le Père se notifie à nous par la paternité et la spiration ; en tant que ''Principe qui n'a pas de principe'', il se notifie par ceci qu'il n'est pas d'un autre ; et voilà précisément la propriété d'innascibilité, celle que signifie le nom d'Inengendré.[1]»

CONCLUSION

La personne du Père, de qui tout vient et vers qui tout retourne, est non seulement Père du Fils unique, mais encore Père de tous ceux qui par grâce sont devenus fils dans le Fils. La création de l'univers lui est appropriée, comme le chante le Credo – « je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant créateur du ciel et de la terre » – en raison de son innascibilité, car il est le principe sans principe.

BIBLIOGRAPHIE

  • Batut J.-P., « Monarchie du Père, ordre des processions, périchorèse : trois clefs théologiques pour une droite confession trinitaire », COMMUNIO, XXIV, 5-6 - n°145-146 septembre-décembre 1999.
  • Emery G., La théologie trinitaire de saint Thomas d'Aquin, Cerf, 2004.
  • Dondaine H.-F., « Appendice II, A. Notes doctrinales thomistes », dans saint Thomas d’Aquin, Somme théologique. La Trinité, t. 2, Ia, Questions 33-43, Paris, 1997.
  • Nicolas J.-H., Synthèse dogmatique. De la Trinité à la Trinité, Fribourg – Paris, 21986.
  • St. Thomas, Somme de théologie, Ia, q. 33.
     

[1] ST, Ia, q. 33, a. 4.